Chroniques

par bertrand bolognesi

New York Philharmonic
Alan Gilbert joue Bartók, Debussy et Stravinsky

Philharmonie, Paris
- 26 avril 2015
Alan Gilbert et le New York Philharmonic jouent Bartók, Debussy et Stravinsky
© dr

Quittant les applaudissements nourris qui saluent le bel hommage à Elliott Carter donné à l’Amphithéâtre du Musée de la musique [lire notre chronique du jour], c’est une allée détrempée (sans rigoles ni bondes d’évacuation) qui nous mène de l’ex-Cité vers la Philharmonie toute neuve. Ayant non seulement à franchir un véritable torrent, sous ce ciel de pluie, puis à grimper via deux escalators, dont une partie n’est pas couverte, mais à affronter encore le lac en terrasse pour enfin entrer à l’accueil provisoire du bâtiment, on se demande à quoi pensa Jean Nouvel en imaginant son projet… Encore faut-il d’ailleurs en replacer l’histoire, par-delà une nouvelle appellation qui pourra sembler abusive : depuis janvier, Philharmonie de Paris englobe tout ce qui existait avant elle, débaptisant en Philharmonie 2 la Cité de la musique, terme qui pourtant est bien plus juste pour désigner le pôle formé à la porte de Pantin par le CNSMD, le CDMC, l’auditorium, le musée, son amphithéâtre et les équipements récemment inaugurés. N’aurait-il pas mieux valu maintenir une Cité de la musique dont l’auditorium se serait immédiatement distingué de l’autre édifice, philharmonie comprenant une grande salle, une salle de répétition, des ateliers pédagogiques, etc. ? Vingt ans d’histoire d’un lieu sont désormais gommés par une grossière opération marketing qui dénature le sens même du projet initial d’un lieu de concert, d’activité et de partage.

Passés cet accès de précision et la crainte de l’éternuement à la faveur de souliers inondés, nous retrouvons avec plaisir ladite Grande salle où se conclut le programme Sketches of New York. Après avoir joué Ravel, Salonen et Strauss hier soir, le New York Philharmonic et Alan Gilbert donnent aujourd’hui un menu tourné vers le ballet, avec trois pages essentielles du début du XXe siècle. Dès Petrouchka de Stravinsky s’impose la redoutable technique des instrumentistes étatsuniens, admirable. Encore est-elle au service d’une riche musicalité, au fil d’une exécution infiniment nuancée à l’expressivité « confortable », pour ainsi dire. Bien des détails de l’écriture se laissent parfaitement percevoir, même au plus fort des tutti. Le relief général est brillant, tant dans les soli (la flûte, le violon !) que dans des alliages timbriques étonnants, peut-être portés par l’acoustique difficilement descriptible du lieu et ses qualités contraires*. Outre un pupitre de violoncelles remarquable, félicitons l’autorité des cuivres, enfin l’impertinente trompette.

Entendre cet orchestre dans la salle longtemps rêvée par Pierre Boulez, jadis directeur musical du New York Philharmonic, prend un sens plus profond dans cette circonstance particulière de la célébration de ses quatre-vingt dix ans où s’inscrit l’actuelle exposition temporaire. Après les aventures du pantin russe, Alan Gilbert dessine en grand mystère le poème dansé de Claude Debussy, Jeux, ne dérogeant jamais à une extrême souplesse de l’interprétation. Sa lecture est infiniment colorée, voire « fleurie ». Les tendres demi-teintes vermeilles des cordes laissent pantois. Le bonheur de la complice joute, le frémissement de l’inconnu, prennent un jour presque amoureux. La dynamique est subtilement menée, révélant une sensualité omniprésente, quoique discrète – les oiseaux de la nuit chantent comme l’on caresserait les étoiles. Au soyeux du violon solo debussyste répond ensuite la quasi-sauvagerie du Mandarin merveilleux (Suite) de Béla Bartók qui mêle opulence et vivacité, dans une sonorité nettement plus grasse qu’à l’accoutumée. Sorte de synthèse entre la rythmicité de Stravinsky et la moire opulente du Français, mais avec des cordes parlant magyar, cet opus à l’urgence décoiffante vient superbement clore le concert. Clore, vraiment ? Face à l’accueil très enthousiaste du public, les artistes offrent encore l’Egmont de Beethoven, dans une puissante tonicité, impérative – joli cadeau !

BB

* Au fil des concerts se précise notre approche de l’acoustique de la Philharmonie. Si le balcon ne paraît pas idéal [lire notre chronique du 5 avril 2015], le parterre est impressionnant de précision du rendu. Placé lundi au douzième rang du parterre, dans le bloc central [lire notre chronique du 20 avril 2014], nous recevions un son très défini mais avec le liant nécessaire. La musique s’y fait avantageusement enveloppante sans la réverbération malencontreuse de l’étage. Cet après-midi, nous sommes installés au sixième rang du centre du parterre, légèrement sur la droite – il faut préciser que ce n’est pas le fauteuil attribué mais qu’arrivé au dernier moment nous nous sommes assis de justesse avant l’arrivée du chef. Là, le son est écrasant, franchement trop fort. Après l’entracte, nous gagnons le bon fauteuil, en plein milieu du même rang, donc derrière le chef : toute saturation disparue s’y vérifie la réussite acoustique constatée lundi. Bouger de sept places n’est donc pas rien. À suivre…