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Chroniques
Nisi Dominus RV 608 et Dixit Dominus HWV 232
Jennifer France, Ilkin Alpay et Jakub Józef Orliński
Notre couverture de la quarantième édition de l’Internationale Händel Festspiele de Karlsruhe décline avec joie les genres, grâce à une programmation passionnante – on regrette de n’être pas arrivé dès samedi dernier pour entendre l’oratorio Theodora par Peter Neumann à la tête de la Badische Staatskapelle et du Kölner Kammerchor, retenus que nous étions alors par la soirée de gala du Nationaltheater Mannheim [lire notre chronique du 18 février 2017]. Après les représentations réussies d’Arminio et, surtout, de Semele au Badisches Staatstheater, nous regagnons la Christuskirche de la porte de Muhlbourg, imposante église protestante octogonale construite à la toute fin du XIXe siècle par les architectes suisses Karl Moser et Robert Curjel, tout juste trentenaires.
Nous y retrouvons en partie le belle équipe de Semele [lire notre chronique de la veille], puisque les soprani Ilkin Alpay et Jennifer France participent à ce concert spirituel et que l’organiste et chef de chœur Carsten Wiebusch le dirige, à la tête des mêmes Deutsche Händel Solisten. La Sinfonia de la cantate Donna, che in ciel di tanta luce splendi HWV 233 entame d’autorité le programme, jouée dans une souplesse de bon aloi, d’abord majestueuse puis virevoltante. Dès lors, la lumière caractéristique d’Händel est de la fête, bienheureusement invasive comme nulle autre. La fiabilité des attaques, la rigueur de la tenue et une articulation vigoureuse effacent d’emblée l’incertaine fosse entendue de l’après-midi [lire notre chronique du jour].
L’alto polonais Jakub Józef Orliński gagne l’orchestre pour le Nisi Dominus RV 308 d’Antonio Vivaldi (Psaume 126). Sans heurt, la franche vivacité des archets est à l’œuvre dans le premier verset, proclamé d’un timbre chaleureux. Pourtant, si grave et médium se posent efficacement, l’aigu s’effectue par un passage malaisé : à partir de l’ut#, l’impact est si artificiellement gonflé que toute note fausse. Vanum est vobis puis Surgite confirment une intonation pas nette du tout. La nuance instrumentale savamment feutrée conduit un Cum dederit dignement méditatif. Le flamboyant Sicut sagittae favorise le chanteur qui ne semble cependant pas reprendre possession de la totalité de ses moyens. Après un Beatus vir relativement pénible car vocalement canardé, la régularité parfaitement vérifiable du défaut de cette voix nous fait penser, avec le Gloria, qu’elle ne serait pas de contre-ténor mais d’un solide baryton forçant sa nature – mais l’on se trompe : de nombreuses distinctions emportées à plusieurs concours internationaux invitent à considérer Orliński comme une valeur acquise que, docile, le mélomane ne saurait mettre en doute… considérons donc plus prudemment que le jeune homme est en méforme.
De l’oratorio Il trionfo del tempo e del disinganno HWV 46a, écrit en 1707 sur un livret du cardinal Pamphilj lors des séjours italiens du Saxon, remanié cinquante ans plus tard pour Londres (The triumph of time and truth HWV 71), l’orchestre donne une brève Sonate en ré majeur qui cautérise avec bonheur les plaies auditives contractées pendant le motet du Vénitien – pure merveille que l’alternance du clavecin et de l’orgue. Les douze Concerti grossi constituant l’opus 6 d’Arcangelo Corelli furent édités en 1714, à Amsterdam, après la disparition de l’auteur, bien qu’ils aient été vraisemblablement composés à partir de 1709 ; les quatre mouvements du Concerto grosso en ré majeur Op.6 n°4 sont donc contemporains de l’escapade romaine d’Händel. Après quelques mesures introductives Adagio, l’Allegro arbore une fraîcheur communicative. Irrémédiable, la désolation du chromatisme de l’Adagio suivant ose une forme de simplicité qui en scelle l’inexorabilité. Après un Vivace qui « ouvre la tête », pour ainsi dire, la Giga finale dispense un sourire chafouin à l’assistance.
Le Kammerchor der Christuskirche s’installe, ainsi que les trois solistes convoqués par le Dixit Dominus HWV 232 de Georg Friedrich Händel (Psaume 110), conçu à Rome en 1707. La fermeté chorale, très en contrôle, est à l’œuvre dans un preste premier verset, d’une précision confondante. Jennifer France livre une phrase toute en nuance. Du chœur se détache la partie solo du ténor, sagement confiée à Georg Kalbach, idéal. Du continuo, la caresse organistique avantage Virgam virtutis… où le cruel ut# de tantôt vient atrocement chatouiller le tympan. Nous retrouvons l’excellence du soprano britannique dans un Tecum principium exemplaire pour l’impact, la justesse et la dynamique. Le tragique Iuravit Dominus est porté haut par des choristes inspirés, par-delà sa redoutable harmonie changeante. Après la fugue un rien « boulée » de Tu es sacerdos, Ilkin Alpay conjugue son timbre gracieux à celui de son ainée dans l’entrelacs de Dominus a dextris tuis où Jakub Józef Orliński s’en sort mieux. Leur répond la basse moelleuse de Florian Hartmann issue du chœur. Bientôt l’écriture s’envole, toujours étonnante. Après une nouvelle fugue chorale impeccable (Judicabit), la scansion de Conquassabit fait grand effet. Des cordes fort italiennes cisèlent l’avant-dernière partie, d’une douceur inouïe, en lévitation. L’extraordinaire Gloria Patri propulse dans les nuages l’impatient fugato d’Et in saecula saeculorum, avec ses inserts dramatiques, que calme d’un coup d’un seul le définitif Amen – une très belle interprétation.
BB