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Chroniques
Nixon in China | Nixon en Chine
opéra de John Adams
Sans Richard Nixon et sa politique étrangère si décriée, John Adams n’aurait peut-être pas suivi l’itinéraire qui l’a tant façonné en tant que compositeur. En mars 2010, il expliquait à la presse française : « j’ai grandi en Nouvelle-Angleterre et, à cause de la guerre du Vietnam, je n’ai pas pu parfaire mes études en Europe. Donc, j’ai préféré partir pour la côte Ouest, sous l’influence de la lecture de Jack Kerouac et de la culture de la beat generation. J’étais attiré par le rock de San Francisco, la musique de Grateful Dead et de Jefferson Airplane, et je voulais fuir l’académisme de la côte Est, en particulier celui de l’enseignement musical ».
De tels goûts, inspirations artistiques et inclinations idéologiques se sont renforcés dans la Californie des années soixante-dix et en particulier dans la réaction à la visite de Tricky Dick en Chine, fin février 1972. Vu par le jeune Adams et par la librettiste Alice Goodman, l’événement donne matière au possible chef-d’œuvre Nixon in China. Créé en 1987, à l’instigation de Peter Sellars qui en signa la première mise en scène à Houston, l’œuvre entre ce soir au répertoire de l’Opéra national de Paris, grâce à son directeur Alexander Neef, une dizaine d’années après sa création française [lire notre chronique du 18 avril 2012].
Calibré pour l’auditorium Bastille dans ses largeur et hauteur afin d’illustrer par des tableaux à grand déploiement, colorés et cinématographiques, les rencontres entre Est et Ouest (ou entre ciel et terre à la première scène), le spectacle mis en scène par Valentina Carrasco [lire nos chroniques de The turn of the screw, Œdipe, Aida, Simon Boccanegra et La favorite] réussit la satire d’un sommet de la diplomatie moderne, oublieuse de l’humanité de ses peuples, ainsi que la reconstitution fidèle, en apparence du moins, des participants à ce curieux rendez-vous hivernal, représentés comme les figurines d’un bal masqué grâce aux costumes de Silvia Aymonino. Dans une comédie plutôt triste, les personnages illustres – les couples présidentiels, leurs ministres et chefs de la diplomatie – évoluent moins qu’ils ne monologuent, à huis clos le plus souvent, dans des intérieurs imaginés par les décorateurs Carles Berga et Peter van Praet à partir de photos officielles. Relevons surtout la métaphore, filée avec habileté, qui met en lumière un face-à-face parfois massif, bleus contre rouges : des joueurs de ping-pong montrés en pleine action, en clin d’œil au fameux épisode des pongistes qui se sont fortuitement croisés en compétition internationale (Nagoya, 1971) et ont initié les premiers rapprochements sino-américains de l’après-guerre.
Dirigé par Gustavo Dudamel, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris fait des merveilles, dès le court prélude qui distille la limpide clarté d’une musique d’abord opaque et stressante. Avec tant de subtilités, la palette de John Adams paraît impressionnante, partant du côté de Philip Glass, des partitions pour Hollywood, de Stravinsky ou encore du blues... et le plateau vocal si bien accompagné n’en est que plus brillant !
Le baryton Thomas Hampson offre un Nixon chaleureux, honorable et fervent. Très volubile et fin comédien au premier acte ou rêveur nostalgique auprès de son épouse par la suite, il ressemble à un interprète idéal, le pilier de l’expression chantée selon Adams qui ne manquera pas, à la tombée du rideau de cette première, de le chaleureusement remercier sur la scène, devant le public ravi. En outre, le ténor John Matthew Mayers souligne le côté burlesque de Mao Tsé-toung et la basse Joshua Bloom propose un Henry Kissinger clair et emporté avec justesse. Le premier ministre Zhou Enlai revient au baryton Xiaomeng Zhang qui allie rectitude, puissance et qualité de timbre, mais le rôle souffre de l’équivocité des échanges, peut-être dès sa conception par Adams et Goodman, ainsi que d’une multitude d’accessoires clichés de chinoiserie, bien qu’il conclue très bien l’impossible Acte III, à l’intérêt dramatique perdu dans une intimité complaisante facile, voire lâche.
En Pat Nixon, le soprano Renée Fleming est plus convaincant par le jeu, comique, que par le chant à l’ambitus trop limité, alors qu’en tant que secrétaires de Mao, les mezzo-soprani Yajie Zhang, Ning Liang et Emanuela Pascu se montrent plaisamment mélodieux au I, puis volontaires au II, éléments du combat révolutionnaire qu’aborde une étrange mise en abyme. Mieux encore, la sensationnelle Kathleen Kim remporte à nouveau le succès avec son soprano agile et des vocalises somptueuses, jusqu’à se tailler la part du lion dans le seul véritable air (I can keep still), toute seule à l’avant-scène, en fin de représentation [lire nos chroniques de L’enfant et les sortilèges et de Cendrillon]. Enfin le Chœur maison signe une performance unique, intense, un mélange de sacré et de martial.
FC