Chroniques

par christian colombeau

Norma
opéra de Vincenzo Bellini

Opéra de Marseille
- 5 octobre 2006
Norma de Bellini vue par Renée Auphan à l'Opéra de Marseille
© christian dresse

Présenter aujourd’hui Norma est une gageure, à plus d’un titre. Cet ouvrage est difficile, on le sait, non seulement pour les protagonistes mais aussi pour la présentation scénique où les risques de pompiérisme sont innombrables ; pour la musique enfin, la simplicité de Bellini n’étant qu’apparente : ces lits d’accords largement arpégés sont bien plus redoutables que les traits brillants ou les complexités spectaculaires d’un tissu réalisé dans l’optique théâtrale.

Forte du succès rencontré voici deux ans avec une Sonnambula présentée dans une sympathique mise en espace, la courageuse Renée Auphan renouvelle l’expérience. Ce qui est peut être préférable à une mauvaise ou approximative mise en scène. Surtout quand les moyens font défauts. Francesco Esposito s’est donc mis à la tâche. Rien de bien spectaculaire dans cette simpliste illustration anthracite du chef d’œuvre du maître de Catane : quelques fumigènes pour créer l’ambiance, quelques projections primaires et… une incongrue mais fort drôle pluie de confettis pour l’air d’entrée de la druidesse ou la montée au supplice des amants maudits ! Avec ce fauteuil art déco sur la scène nue, la comédie de boulevard n’est pas loin. Tout au plus pourrait-on sourire d'attitudes convenues, mais l’ensemble baigne heureusement dans une économie dramatique de bon aloi qui laisse sa place à la musique et n’en contrarie jamais le cours impétueux.

Cependant, le sens de Norma n’est pas là. Plus qu’ailleurs, ce sont des voix que l’on attend. Et l’on ne peut que s’incliner devant l’humilité avec laquelle la sublime June Anderson aborde, pour la cinquantième-sixième fois de sa carrière, la terrible partition. Hiératique, noble, comme « emplie d’austérité céleste », belle à damner toute une légion de centurions, émouvante dans sa simplicité, frémissante et vulnérable à la fois, le soprano américain connaît son Bellini sur le bout des lèvres. Avec toujours ce legato unique sans lequel Casta Diva sombre dans l’exercice vocal dont on se tire comme on peut. Le trio orageux qui clôt le premier acte est d’une violence toute racinienne, le Son Io final déchirant. Fascinante Prima Donna !

Mzia Nioradze est une Adalgisa tout aussi convaincante. Son mezzo velouté se marie à merveille avec celui de sa rivale. La voix est séduisante, la palette riche et le personnage bien caractérisé. Les débuts marseillais de Zoran Todorovich – aucun lien de parenté avec la mezzo française du même nom – sont éclatants. Campé sur ses ergots (quel vilain rôle tout de même, dans tous les sens du terme puisque finalement pas si bien écrit que cela – Strauss avec Bacchus fera pire), le ténor aux allures de jeune rocker sort enfin le proconsul romain d’une mauvaise routine et parvient à rendre sympathique un personnage qui ne l’est pas. Belle autorité de Wojtek Smilek, Oroveso de tradition, digne, honorable. En quelques répliques percutantes, Martine Mahé et Marc Terrazzoni remettent les épisodiques Clotilde et Flavio à leurs vraies places : la deuxième diva et le second ténor de la distribution.

Bellini n’est pas plus facile à chanter qu’il ne l’est à jouer pour l’orchestre. L’autre vraie bonne surprise de la soirée est venue, sans nul doute, de la fosse. Dès l’ouverture, on est séduit par l’équilibre des tempi énergiques choisis par Emmanuel Villaume, un parti pris dramatique qui ne se dément jamais, donnant tout au long du spectacle une véritable réplique aux chanteurs. On retrouve avec plaisir cette musique lunaire faite d’abandon, d’extase poétique, de frémissement. L’orchestration de Bellini, tant décriée par certains, semble d’un coup presque savante. Au total, cette représentation prouvera que, pour peu qu’on y mette le prix du désir de bien faire, il est encore possible d’en donner une interprétation probante.

CC