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Nosferatu
film de Friedrich Wilhelm Murnau – musique de Juan de la Rubia
Après avoir ouvert son nouvel auditorium il y a quelques mois [lire notre chronique du 22 novembre 2014], la Maison de la radio dévoile à présent l’orgue conçu à la mesure de son architecture. Le choix du facteur s’est porté sur Gerhard Grenzing, lequel s’inscrit dans la tradition mais propose des innovations technologiques pour d’inédites possibilités de composition, d’improvisation et d’interprétation. Mesurant douze mètres de haut sur douze de large, l’instrument possède quatre-vingt sept jeux et deux consoles, dont une mobile à commandes électriques proportionnelles disposée sur scène. Comme les premiers accords le prouveront, la circulation du son est pensée pour envelopper l’auditeur grâce à diverses astuces de réflexion (parements de bois des balcons, canopée du plafond, etc.).
L’inauguration se déroule les 7, 8 et 9 mai – à l’occasion de la cinquième édition du Jour de l’orgue. On y entend nombre de compositeurs réunis par thématiques (Alain, Duruflé, Widor d’un côté ; Eben, Hersant, Machuel de l’autre) mais également des improvisateurs tels Thomas Ospital, au service d’un conte avec récitant de Pierre Senges (Étranges murmures à l’Hôtel Larigov), et Juan de la Rubia, dans Nosferatu, eine Symphonie des Grauens (1922), projeté ce soir.
Moins de dix ans avant le tournage de Tabu (1931), son ultime apport à l’histoire du cinéma [lire notre chronique du 20 mai 2014], Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931) s’inspire du roman de Bram Stoker, Dracula (1897), pour livrer un classique de l’épouvante, sur les traces du Hongrois Károly Lajthay (Drakula halála, 1921). L’adaptation est confiée à Henrik Galeen, connu pour son travail sur Der Golem (1920) [lire notre chronique du 22 novembre 2013], avec consigne de brouiller les pistes pour ne pas payer de droits à la veuve Stoker – faible budget oblige ! Jugeant le plagiat grossier, celle-ci intente un procès qui aboutit à la destruction de toutes les copies illicites (1925). Dans les faits, le jugement est difficilement applicable puisque des bobines réapparaissent bien avant la première restauration du film, en 1981.
Si résonne encore parfois la partition originale d’Hans Erdmann, reconstituée par le musicologue Berndt Heller, il faut admettre que le film qu’elle coudoyait est devenu un classique du muet servant de laboratoire à nos contemporains. On pense à Baudime Jam (2002), pour quatuor à cordes [lire notre chronique du 8 juillet 2011], mais surtout à Wolfgang Mitterer (2001), déjà à l’orgue, sur un canevas thématique plus ou moins fixé [lire notre chronique du 23 septembre 2010].
À la suite de ses confrères Amedjkane, Biesemans, Boer, Cassan, Eichelberger, Nußbaum, Ospital et Rouet, l’Espagnol Juan de la Rubia s’installe donc aux commandes d’un instrument flambant neuf dont « les boîtes expressives sont très efficaces et permettent une large gamme de volume, du pianissimo le plus tendre jusqu’au big bang ! » En effet, on entend les tuyaux frémir avec une somnambule, célébrer l’allégresse du bonheur amoureux ou celle du matin naissant au château d’Orlok et, bien sûr, gronder à chaque attaque du vampire. Mais l’organiste de la Sagrada Familia (Barcelone) joue aussi la carte de la citation pour titiller le connaisseur. En ce qui nous concerne, repérons Schubert (Der Erlkönig), Gounod (Faust) et Wagner (Isoldes Liebestod). Bonne pioche !
LB