Chroniques

par laurent bergnach

notes obscures
œuvres de Gervasoni, Nono et Sciarrino

Archipel / Maison communale de Plainpalais, Genève
- 21 et 22 mars 2009

Plus esthétisant et moins politique que Nono et Lachenmann – comme nous le présente Marc Texier avant l’arrivée de l’orchestre –, Salvatore Sciarrino (né en 1947), peut-être en héritier des romantiques, s’attache à l’écoute intérieure plutôt qu’aux désordres, grondements et vanités du monde. Qu’attendre d’autre de celui qui, débutant sa formation en autodidacte, a mis des haïkus en musique entre l’âge de douze et vingt-deux ans ? L’apprentissage est marquant : « Sortant peu à peu de mon Japon, dit-il, j’ai utilisé des textes différents, mais entre temps la concentration pour l’essentiel, unie à cette perception objective de la nature, avait imprimé ses stigmates indélébiles sur ma personnalité ». Portant sans problème leur quart de siècle, les deux œuvres au programme aujourd’hui ne sont pas chantées, mais tout les rattache au corps, à l’intime et à la méditation. À la différence de Concerto pour alto (1994/95), la pièce de Stefano Gervasoni dirigée hier, 21 mars, par Eduardo Leandro, l’épure est pleinement acceptée, sans agitation anecdotique, sans recours à un artifice vite crispant (les pierres qu’entrechoquent la harpiste et quelques autres).

Dans Introduzione all’oscuro (1981), douze instrumentistes du Basel Sinfonietta laissent respirer des pépites de sons mises à nus, accompagnées par les rythmes changeant d’une respiration dans un piccolo ou la pulsation cardiaque imitée par la clarinette, dans des contrastes souplement abordés par Fabrice Bollon à la direction. Même présence physiologique dans Autorittratto nella notte (1982), même battement du sang dans la chair. Au sein d’une formation exceptionnellement utilisée au complet, les violons omniprésents tissent un canevas léger et scintillant – à l’image des Tre notturni brillanti entendus deux heures plus tôt [lire notre chronique] –, les plaques de métal se contentent souvent de frémir, pour ne pas déranger la quiétude environnante.

« Hier, aujourd’hui : refus des dogmes, des modèles fixés, besoin humain de chercher, de risquer, de dépasser sans limites, d’écouter ce qui est différent, l’autre. » Tels sont les mots que Luigi Nono associaient à la création de No hay caminos, hay que caminar… Andrei Tarkovski, à Tokyo, en novembre 1987, dédiée au « génial créateur de temps ». Par son lent soulèvement, cette pièce de près d’une demi-heure annonce de sourdes menaces, mais les événements redoutés sont juste amorcés et bien éphémères. Tendus et investis, les sept groupes instrumentaux répartis autour du public font honneur à cette œuvre qui clôt un programme (comme la veille) d’une cohérence exemplaire.

LB