Chroniques

par nicolas munck

Nymphea Reflection
résidence Kaija Saariaho, concert 1

Hannu Lintu dirige l’Orchestre national de Lyon
Auditorium Maurice-Ravel, Lyon
- 7 novembre 2013
Nymphea reflection de Kaija Saariaho par l'Orchestre national de Lyon
© maarit kytöharju

En lancement du cycle dédié à Kaija Saariaho – simultanément à la création française de Circle Map à Paris [lire notre chronique du jour] – l’Orchestre national de Lyon, ici placé sous la direction du très charismatique Hannu Lintu (un compatriote de la compositrice), esquisse quelques aspects de la musique finlandaise dont Sibelius, la figure tutélaire, ouvre et referme le menu. Encadré par les deux mouvements du tableau symphonique Finlandia et de sa Septième Symphonie, le Troisième Concerto pour piano de Prokofiev se glisse sans heurt dans ce programme. Idéalement placé au cœur de cette proposition, l’opus de Saariaho se trouve parfaitement mis en lumière et le public semble tout à fait disposé à l’accueillir. Soulignons donc la pertinence et l’efficacité de ce double programme, très équilibré dans le temps, qui offre une belle alternance entre genres et effectifs renouvelés, un principe d’arche tout à fait cohérent.

Sans nous appesantir sur l’esthétique et la technique orchestrale de Sibelius (il y aurait tant à dire), les deux mouvements contrastés de Finlandia Op.26 sont d’abord l’occasion de constater l’excellente forme de la formation lyonnaise. Elle fait plaisir à entendre. Si nous en avions conservé un goût mitigé, dans le cadre de sessions à l’extérieur (notamment un programme Ravel pendant la dernière édition de la Folle Journée nantaise), la réconciliation est clairement en cours. Opulent sans être forcé, le son frappe par son équilibre (sans neutralité) et de bien belles choses dans la petite harmonie. Il est mené de main de maître par Hannu Lintu dont l’énergie et la prestance électrisent le public. Seul regret, certaines options interprétatives (dynamiques, tempi, etc.) flirtent dangereusement avec le surjeu et le manque de simplicité. Déjà marquée, la musique de Sibelius ne se prête que modérément à la surenchère expressive. Pourquoi donc chercher à la charger davantage ?

Contrasté, entre couleurs hollywoodiennes et ravéliennes, le troisième Concerto en ut majeur Op.26 n°3 de Sergueï Prokofiev est tout aussi prompt à mettre en évidence les qualités de l’orchestre. Il nous est livré avec beaucoup d’intelligence et de contrôle par le pianiste russe Nikolaï Lugansky, particulièrement attentif aux interventions du tutti et dans une permanente chambriste. Cette performance et cette prise de recul sont d’autant plus remarquables qu’il est facile, dans un concerto à la virtuosité foudroyante et souvent ingrate, de se laisser embarquer par la seule exécution du texte. Lugansky prend la seule option qui vaille : celle de la musique !

Composé en 2001 dans le prolongement de Nymphea pour quatuor à cordes et électronique sous-titré Jardin secret III (1987), Nymphea Reflection pour orchestre à cordes se réfère lui aussi à l’univers pictural de Claude Monet. Il ne faudrait toutefois pas chercher dans ces deux pages de Kaija Saariaho la transposition musicale d’une impression visuelle, la compositrice retenant plutôt des nénuphars du peintre leurs structures symétriques qui, « flottant sur les eaux, se plie(nt), se transforme(nt) », et une idée de transparence – là est la métaphore compositionnelle. Dans Jardin secret III, l’ensemble du matériau harmonique est généré par une analyse spectrale du violoncelle. Essentiellement utilisé comme prolongement et extension du matériau instrumental (synthèse, harmoniseur, delay, filtres, etc.), le dispositif électronique est lui aussi intimement connecté à cette constitution première. À la manière de Matalon dans l’interférence entre le cycle des Traces et Trames ou du passage de Metallics vers Metal Extensions chez Maresz, l’environnement électronique de Nymphea se trouve transposé dans la version « acoustique pure » des Nymphea Reflection. Mais qu’on soit dans la mixité ou le champ acoustique, l’approche formelle, harmonique et timbrique de la compositrice découle essentiellement d’une tension permanente entre son et bruit, proche de celle historique existant entre consonance et dissonance. « Chaque instrument, mode de jeu et son synthétique a dans mon esprit sa place dans l’espace de timbre ainsi défini » (dixit Saariaho) : l’œuvre est une illustration parfaite de cette idée. Il en résulte une musique d’ambiguïté permanente où l’on se laisse parfois surprendre par un objet harmonique entendu comme de la synthèse, ou par certains effets de spatialisation.

Malgré cette belle métaphore de l’électronique servie par une science remarquable de l’écriture pour orchestre à cordes, force est de constater un certain systématisme dans les procédés d’écriture. Héritière, sur ce point, des premiers spectraux, la plupart des « transformations acoustiques » sont développées sur du temps étiré. Quoique justifiable selon des critères perceptifs, cela installe l’oreille dans une habitude du processus de transformation. Dans le dernier mouvement (Misterioso), des bribes textuelles d’Arseni Tarkovski sont murmurées et réparties dans l’espace par les instrumentistes. Au delà de la portée poétique de ces derniers vers –
« Jamais feuille ne s’est flétrie
Jamais branche ne s’est brisée
Le jour a la clarté du verre
Mais il doit y avoir autre chose
»
– le chuchotement apporte une dimension supplémentaire à cette pièce très harmonique. Le concret et le souffle rejoignent le synthétique. Tout comme leurs homologues des vents, les cordes sont magnifiées par une partition qui prend parfois l’allure d’un catalogue d’effets et de modes de jeu. D’autre part, et malgré une conduite qu’on pourrait concevoir comme plus propice au grand répertoire symphonique, Lintu ne manque pas de pertinence dans cette version qui rend parfaitement audibles transparences et transformations.

Dernier ouvrage édité par le compositeur (la Huitième fut délibérément détruite en 1940), la Symphonie en ut majeur Op.105 n°7 de Jean Sibelius boucle ce riche programme. Plus encore que Finlandia et le concerto, cette dernière pièce est un excellent moyen de mesurer réactivité et ampleur d’un orchestre. Malgré une pâte dense et parfois engluée (l’écriture), l’ONL révèle une fois encore l’étendue de ses possibilités. C’est avec plaisir et appétit que nous suivrons les prochains numéros du cycle !

NM