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Chroniques
Octobre 1917, une révolution en images – épisode 2
cycle de films russes en ciné-concert
À la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, le cycle de cinéma muet russe se poursuit, évoquant les lendemains de la révolution d’octobre 1917, c’est-à-dire sa sublimation auprès des masses populaires. Le premier long-métrage de la journée (14h), que présente François Albera en spécialiste des années vingt, fut d’abord connu comme L’homme qui a perdu la mémoire. Depuis, il a retrouvé son titre original : Débris de l’empire (Обломок империи, 1929), allusion à l’injure finale qu’adresse Filimonov à sa femme et à son nouveau compagnon, engourdis par le confort et l’hypocrisie. Quel chemin parcouru pour cet ancien officier, devenu amnésique sous les bombardements, qui découvre les bienfaits du communisme des années après quiconque !
S’inspirant de l'essai Invité de l'au-delà de Nikolaï Pogodine – dramaturge emblématique du régime, dépeignant tour à tour usine, fonderie et travail forcé – et des traumas de la Grande Guerre, Vladimir Markovitch Breslav alias Fridrikh Ermler (1898-1967) signe un film qui tranche par son réalisme avec le formalisme ambiant, semblant plus proche de Spellbound (La maison du docteur Edwardes, 1945) que de La ligne générale, sorti la même année. Mais là où Hitchcock ferait des souvenirs enfouis le moteur du suspense, le Letton en use pour confronter le héros (Fedor Nikitin) à une succession de chocs visuels (architecture constructiviste) puis institutionnels (patronat réparti entre chaque employé d’une entreprise). D’autre part, même s’il fustige l’alcoolique qui freine l’essor du groupe, Ermler échappe au manichéisme habituel en présentant un travailleur culturel abject et un patron déchu presque émouvant.
Ces dernières années, quelques occasions furent saisies de voir cette période cinématographique nimbée de musiques variées [lire nos chroniques de La grève (1924), Octobre (1927), La nouvelle Babylone (1929) et La terre (1930)]. L’intérêt des projections du présent cycle est leur accompagnement par un unique piano. Suite au glas qui s’égrène aux premières secondes de Débris d’empire, Adelon Nisi alterne moments silencieux (croisements de regards) et emballements. Ces derniers peuvent être réguliers (train, machines), agités (groupe d’enfants, citadins d’un tramway) voire paroxysmiques (scène du char en flashback). La touche s’avère délicate et nuancée, les références parfois minimalistes.
On peut doublement qualifier de rareté Montagnes d’or (Златые горы, 1931) puisque, ciné-concert oblige, cette version s’autorise à rendre muets acteurs et partition de Chostakovitch, alors même que le film fut parmi les premiers sonorisés d’URSS – d’entrée, Valérie Pozner rappelle combien la question du son fit polémique au pays de l’agitprop : fallait-il choisir le naturalisme servile ou bien la poésie, le contrepoint ironique ? Ce qui est sûr, c’est que Sergueï Ioutkevitch (1904-1985) ne sacrifie pas l’invention visuelle (caméra embarquée, gros plan, flou, bascule, etc.) pour peindre des stéréotypes de la souffrance prolétarienne (paysan devenu ouvrier, contremaître manipulateur, femme morte en couches, religion complice). De même, on retrouve ici l’attrait du Pétersbourgeois pour les musiciens (accordéon, harmonica, piano), déjà sensible dans Dentelles (1928) [lire notre chronique du 11 octobre 2017].
Pour sa part, Masanori Enoki ne dispose que du roi des instruments, duquel inventer différents climats. Lyrique durant un générique qui voit défiler le nom des acteurs – autrefois, un intertitre les présentait à leur première apparition –, il se montre ensuite liturgique (rituel orthodoxe) ou dansant (naissance d’un enfant, taverne). Le calme de certaines négociations, à Bakou et Léningrad, n’est que prémices d’une tempête d’insurrections, trépidante et tendue. Enfin, l’improvisateur se fait bruitiste pour animer cette montre fatale qui permet au puissant de séparer un homme crédule de ses camarades.
LB