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Chroniques
Odes et motet d’Henry Purcell
Hervé Niquet dirige Le Concert Spirituel
Pour que le goût baroque se dégage dans un puissant ravissement, explosif et fantastique, retenons que le meilleur peut, en fait, triplement venir sur la fin – en avançant vers la conclusion de chaque œuvre au programme, d'abord, au terme de cette belle journée dominicale, ensuite, et finalement au bout de ce si plaisant événement. Placé sous les auspices du créateur de l'opéra anglais, Henry Purcell (1659-1695) [lire notre chronique du jour], le cinquième et dernier dimanche du trente-deuxième Festival de l'Abbaye de Saint-Michel en Thiérache finit dans la double glorification de Sainte-Cécile et de la reine Mary II (1662-1694), grâce au Concert Spirituel emmené par son fondateur Hervé Niquet.
You make the listening shores rebound. Tirée de l'ode Come, ye sons of art, away offerte à la reine pour son anniversaire, en 1694, cette assertion musicale va comme un gant à la formation francilienne, tout juste rentrée d'une tournée outre-Manche. Dans la douceur et l'harmonie, le public savoure l'art de Purcell d'aborder le thème féérique (moins de deux ans après la composition du merveilleux Fairy Queen). Le chœur prend des accents fort autoritaires, mais de toute beauté, pour The day that such a blessing gave, comme en rappel de l'avidité au pouvoir durant le XVIIe siècle anglais. Puis il gagne en lyrisme et en grâce, à l'instar du destin de la jeune souveraine qui avec classe osa, pour éviter la contagion, dévoiler le terrible mal qui saigna ses entrailles.
La musique composée pour ces nobles funérailles (probablement premières nationales au Royaume-Uni), survenues au tout début de 1695, garde à travers les siècles, les règnes et les exécutions un fascinant pouvoir. Ouverte par une marche solennelle marquée par le roulement de timbale, l'œuvre impressionne de sérénité dans la prière Man that is born of a woman. Les chœurs, si remarquables chez Purcell, sont envoûtants ; ils atteignent au spirituel et à l'offrande bénie à mesure que la musique se fait éminemment sacrée, mélodieuse et vitale. L'hommage à une tête couronnée si populaire en son temps, pleurée dans un deuil universel selon le chroniqueur John Evelyn (1620-1706), est rendu avec grande précision, mais encore avec l'émotion à même de percer la partition et la manière.
En dernier lieu, l'Ode to St. Cecilia (1692) réserve dès la symphonie introductive, comme caché sous les premières vagues des cuivres scintillantes et le doux ressac amoureux, l'immense plaisir baroque porteur de découverte de soi. De saluts toniques en louanges fabuleux, ce chef-d’œuvre du genre déborde de splendeur, ainsi les chœurs de rêve évoquant le souffle angélique (« ...without dulness grave »). Avec cette ferveur du Concert Spirituel, dans ce cadre privilégié de l'église abbatiale, nul ne se prive, à travers le culte à Cécile, d’un petit voyage au Moyen Âge. Outre l'intense satisfaction générale, à l'état pur dans les éruptions de joie communicative pour finir, le festival se referme avec l'impression magique de retrouver une vie antérieure, au temps des Lumières anglaises, dans le songe d'un jeune soir d'été. À l'excellence de la programmation répond une sincère ovation.
FC