Chroniques

par laurent bergnach

Of thee I sing | Pour toi, Baby !
comédie musicale de George et Ira Gershwin

Théâtre Silvia Monfort, Paris
- 19 juin 2005
Of thee I sing, comédie musicale de George et Ira Gershwin
© michel cavalca

Dans les années vingt, à Broadway, George Gershwin et son frèreIra contribuent au succès de comédies musicales légères, sinon mièvres, dans la tradition de la revue. Of thee I sing – titre original de Pour toi, Baby ! – sur un livret de George S. Kaufman et Morrie Ryskind, présenté au public new-yorkais en 1931, va singulièrement renouveler le genre. Ici, pas d'alternance de numéros indépendants, de pauvrettes en quête d'amour, mais une campagne électorale des plus caustiques, décortiquée deux heures durant, et principalement ses zones d'ombre.

Pour faire élire le candidat Wintergreen à la présidence, son comité de soutien réfléchit à un moyen infaillible de remporter les élections. On parie alors sur l'amour, qui amènera les gens à voter, et on organise un concours Miss Maison Blanche dont la gagnante sera décrétée première dame des États-Unis. Mais le candidat tombe soudain amoureux de Mary Turner (cuisinière hors pair de corn muffins !) et ce couple séduit effectivement les électeurs. Dania Devereaux, la Miss spoliée de sa récompense, entame une action en justice et reçoit le soutien inattendu de la France, en tant que fille illégitime du fils illégitime du neveu illégitime de Napoléon. Alors que Wintergreen s'apprête à perdre son poste, l'annonce de la grossesse de Mary met fin aux poursuites. Happy end !

Succès public et critique (441 représentations), prix Pulitzer remporté en mai 1932, cette sérénade électorale, qui se moque allégrement du « prosperity is around the corner » de Hoover, a également fait mouche dans notre hexagone, en avril 2004. Quelques jours après Têtes pansues [lire notre chronique du 9 juin 2005] qui abordait le même thème, le théâtre Silvia Monfort en donne à nouveau cinq représentations. La mise en scène de Jean Lacornerie (Compagnie Ecuador) convoque rideaux de perles, miroirs géants et mannequins de vitrine, qui pallient astucieusement l'absence de gros moyens (revue de girls trop chère, en ces temps moroses pour l'intermittent du spectacle) tout en brocardant la politique-spectacle – finalement de quelque époque et de pays qu'elle soit.

Les numéros (danse, marionnettes, claquettes) sont réglés au cordeau, défendus par une équipe de comédiens-chanteurs attachants. Jacques Verzier (Wintergreen) séduit par sa voix veloutée de crooner et sa souplesse physique, Gilles Bugeaud (Fulton) par une voix chaude et sombre, Sylvain Stawsky par son aisance à incarner des personnages ridicules et antagonistes, etc. L'adaptation française de René Fix et Bernard Yannotta est efficace bien qu'on lui reprochera quelques actualisations (Madame de Fontenay, Yann Arthus-Bertrand.) qui gâchent l'ambiance années trente. Parier sur Lincoln plutôt que sur Clinton aurait été tout aussi drôle, puisqu'il est évident qu'on ne risquait pas d'avoir au bout du fil ce président mort en 1865 !

À l'origine, la partition piano/chant de Gershwin avait bénéficié d'une orchestration parallèle qu'on a perdue. Le choix s'est orienté ici vers un septuor de musiciens – deux bois, deux cuivres, contrebasse, piano et percussions – sous la direction dePierre Roullier, qui permet de retrouver des échos de jazz band, mais aussi des clins d'œil à la France (french cancan, Marseillaise et, bien sûr, Un Américain à Paris). Avec un vibraphone comme seul accompagnement, la plainte récurrente de Gersende Florens incarnant Devereaux, aux langueurs de Summertime, laisse place à une (ironique ?) émotion.

LB