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Chroniques
oggi l’Italia
26ème édition du festival Présences
Après les hésitantes dernières éditions, Présences, le festival de la création de Radio France, renoue avec la belle inspiration de ses premières années. Dans la lignée du mémorable programme Luciano Berio d’il y a vingt ans, oggi l’Italia invite les compositeurs de la Botte. Quatre caravelles tracent le flot : Ivan Fedele (né en 1953), Luca Francesconi (1956), Fausto Romitelli (1963-2004) et Francesco Filidei (1973). Si ces quatorze concerts leur font belle part, le projet délaisse ni les grands anciens, tels Maderna, Nono, Donatoni et Berio, ni la jeune génération, celle des Cattaneo, Morciano et Verunelli. Encore s’y trouvent mêlées les musiques de quelques non-italiens, toujours pour de bonnes raisons. Trois chroniqueurs d’Anaclase ont suivi Présences avec passion : voici leurs impressions, au sortir de ce périple.
À parts égales, le concert d’ouverture salue les musiciens locaux (Dutilleux et Pécou, dont le concerto Soleil rouge convoque la trompette virtuose d’Hakan Hardenberger) et ceux du pays invité (le 5 février). Un chœur d’enfants livre The poppy in the cloud (Venise, 1999), page tendue d’un Romitelli explorant la poésie d’Emily Dickinson, puis laisse place au chant des adultes pour Bread, water and salt (Rome, 2015). D’un soprano souple et impacté, la soliste Pumeza Matshikiza [lire notre chronique du 1er février 2016] investit la pièce de Francesconi [photo] conçue à partir des revendications et confessions de Mandela, victime de « la loi du fusil et du bourreau ». Une semaine plus tard (le 13), suivie de trois premières françaises signées Stroppa, Sciarrino et Fedele – soit des climats variés, foisonnant et généreux, minimal et affecté, énergique et nerveux –, la naissance d’une œuvre orchestrale de Jacques Lenot [lire notre critique du CD Et il regardait le vent ] retient l’attention, confiée à l’excellent Tito Ceccherini. Fondé sur le souvenir d’Abbado lors d’une balade hongroise dans l’odeur des tilleuls, Ce sont des cygnes, là-bas ? relève de l’instant serti : entre deux moments d’angoisse (décharges fébriles aux cuivres et contrebasses), une suspension cristalline des cordes saisit l’auditeur, à l’instar du compositeur lors de son épiphanie. Le retour de cette section semble une mise en abyme de la mémoire.
LB
Francesco Filidei s'affirme comme l'une des figures centrales de cette édition. Arche partant du silence pour le rejoindre, Finito ogni gesto livre, dans le contraste entre la délicatesse chromatique du violoncelle et un climax où flûtes et clarinettes aboient de douleur, une admirable synthèse entre expérimentation des timbres et aboutissement formel (le 9). On le pourra compter au rang des bibelots sonores que la mémoire emmène aisément dans son bagage. Sans compromission passéiste, cette générosité à l'égard de l'auditeur se retrouve dans la création du lendemain, Canzone. Avec habileté Pierre Roullier et 2e2m mettent en évidence un cisèlement qui ne renie pas le matériau populaire, du moins non académique, sans jamais sacrifier l'originalité intellectuelle. Sorte de concerto pour harmonica, l'œuvre explore les frontières entre son et souffle, et s'épanouit dans une immédiate poésie des textures que révèle la virtuosité de Gianluca Littera. C'est un autre avatar d'enivrement funambule que Déshabillage impossible de Francesca Verunelli (le 10, toujours). Au diapason d'un titre emprunté à Méliès, la brillante mécanique s'amuse de subtils effets d'illusions rythmiques qui, pour ne pas oublier l'ivresse, ne sacrifie jamais à la monotonie répétitive et confirme que l'exigence de l’invention ignore ni l'humour ni la contagion pulsative. Le répertoire de chambre est représenté par les Prometeo, au service d'Ivan Fedele (le 13). Palimpsest, son quatrième quatuor à cordes, tisse un canevas alternant la densité desTropos-Sequentia à la placidité étale d'Organum. Plus qu'une dialectique, c’est un discours cyclique en manière de liturgie abstraite. Comparable structuration réticulaire dans les Morolòja kè erotika pour soprano et quatuor. Écrit sur des chants traditionnels en grico, dialecte hellénique des Pouilles natale de Fedele, le recueil se donne comme une symbiose envoûtante et raffinée entre folklore et écriture savante mêlant évocations amoureuses et méditations funèbres, scandées par un quatrain allégorique où la voix à l'expressivité calibrée de Valentina Coladonato se détache comme un aède sur quelques accords. Sans oublier le récital de Nicolas Hodges, d'une maîtrise remarquable, dont deux des Notturni crudeli de Sciarrino, miniatures à l'inspiration décantée, le dimanche de clôture prend un jour psychédélique avec Professor Bad Trip de Romitelli [lire notre critique du CD], voyage en un paysage saturé d'électronique et de déformations psychotropes. Regrettant l'absence de clin d'œil énonciateur avant chaque partie, les connaisseurs sont consolés par la fougue du Balcon et Maxime Pascal : on ne saurait mieux contredire la réputation cérébrale de la musique contemporaine.
GC
L’Italie de mon Présences est d’abord celle, énigmatique et discrètement complexe, de Simone Movio. On put jusqu’à lors approcher la musique du Frioulan par le disque, bien que l’Ircam fit entendre Zahir III (saxophone et électronique). On sait gré à Radio France de lui avoir commandé Logos II (flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano), donné par l’ensemble MDI (le 8) – un quart d’heure de pure méditation dont l’exergue emprunte à l’ésotériste Massimo Scaligero (1906-1980), plus précisément à ses Secrets de l’espace et du temps (1963) : « une croix peut être de bois, de fer ou de marbre ; sa réalité est ni le marbre, ni le fer ni le bois qui emplit sa forme, mais ce qui prend forme au-delà de la matière ». La subtilité du travail timbrique et l’absolue nécessité du geste compositionnel s’imposent haut la main. On connaît l’engagement humain de l’Argentin Sebastian Rivas, applaudi à plusieurs reprises [lire nos chroniques du 17 mars 2015, du 17 mai 2013 et du 14 octobre 2006]. Lui aussi commandé par la « maison », son Esodo infinito, conçu durant sa résidence à la Villa Médicis et créé par Pascal Rophé à la tête du Philhar' (le 12), interroge l’actualité, le naufrage de réfugiés sur les côtes siciliennes, à travers la célèbre Complainte des lucioles de Pasolini (1975) et le commentaire qu’en publiait trois décennies plus tard le philosophe et historien de l’art Didi-Huberman (Survivance des lucioles, 2009). Le surgissement de chants méditerranéens, les bribes échappant à ces auteurs, le contraste de l’écriture orchestrale signent un opus passionnant. De la même génération, le quadragénaire Mauro Lanza livrait la nouvelle version de Ludus de morte regis où un chœur mixte (Les cris de Paris, Geoffroy Jourdain) conte avec esprit et jeu le régicide comme phénomène (le 6).
HK
Curieuse surprise, toutefois : Marco Stroppa demeure plutôt discret au menu du festival. C’eut été l’occasion de faire sonner sa créativité hors du commun, pourtant ! Sans doute d’autres contingences ont prévalues. Rendez-vous en février 2017 pour une vingt-septième édition autour du thème La France accueille les compositeurs.