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Chroniques
Olivier Latry et Marie-Josèphe Jude
Rien d'étonnant à ce qu'Olivier Latry, qui a gravé une intégrale de l'œuvre pour orgue d'Olivier Messiaen, nous offre une fort belle lecture de La Nativité du Seigneur, pour la soirée inaugurale de la huitième édition du Festival Messiaen au Pays de la Meije, ce jeudi. Il rend à La Vierge et l'Enfant (premier mouvement) sa douce lumière, nourrie d'une énergie certaine. Dès l'abord, on sait qu'il va s'agir d'une interprétation inspirée où s'accomplira non seulement le mystère de l'Immaculée Conception, mais également celui de la transsubstantiation.
Si Haydn âgé tourna sa réflexion vers la mort à travers les Sept dernières paroles du Christ en Croix, Messiaen méditait à vingt-sept ans sur la vie, de nature divine ou rien qu'humaine, comme Les bergers le suggèrent. Olivier Latry évoque la bienveillante autorité des Desseins éternels avant la suspension du Verbe, et fait joyeusement éclater l'insolente innocence des Enfants de Dieu et des Anges. Car ici, tout est joie, même la gravité incisive des salves impératives. Nous faisant toucher le martyre du terrible Jésus accepte la souffrance, l'œuvre s'achève dans le calme exalté de Dieu parmi nous, annonçant, dans ces années de jeunesse, les grandes œuvres orchestrales de la fin (Eclairs sur l'au-delà, par exemple).
Pour commencer, nous avions entendu Péan IV, une pièce écrite en 2005 par Jean-Pierre Leguay, élève de la classe de Messiaen que les organistes connaissent bien pour son grand talent d'improvisateur – de fait, les limites de son écriture, non avare de grands effets, explorent ces facilités, sans pour autant convaincre. Exposant deux phrases modales qui se superposent, dans une registration d'une étonnante plasticité, l'œuvre ponctue des motifs très prestes, avant de convoquer les cuivres. Elle use volontiers d'une grandiloquence droit venue d'une grande tradition, mais sans réelle invention.
Entre elle et La Nativité du Seigneur, Olivier Latry donne Nun komm der Heiden Heiland, avançant peu à peu dans une dynamique qu'il parvient à ne jamais figer et qu’il habite d'une certaine joie à chanter la louange du Sauveur. Il n’est certes pas idéal de jouer ce choral de Bach sur l'instrument disproportionné de Saint Louis, qui plus est avec une acoustique d'une lourdeur accusée, mais l'interprète, par un choix subtil de registration et une respiration adaptée, parvient à rendre compte d'une couleur plus spécifiquement ancienne.
Cette année, le thème du festival est Jeune France, ce qui induit un programme tourné vers André Jolivet dont on fête le centenaire. Ainsi Marie-Josèphe Jude donne-t-elle, vendredi soir, le redoutable Mana de 1935 dont elle affirme par des contrastes accusés la puissance – un véritable tour de force, tant sont concis ces fétiches successifs. Moins directement brillantes, les Danses rituelles accordent à l'interprète le temps de développer chaque caractère, avec une unité indéniable. La pianiste en livre une version tant nuancée que colorée qu'elle investit d'une immense concentration. On demeure admiratif de sa fidélité au détail de la partition, tout en édifiant soigneusement le propos général. L'œuvre s'achève dans une relative austérité que l'artiste assume dignement. Pourtant, le piano du Musée de Grenoble [photo], quart de queue sans personnalité, à l'aigu métallique et au grave sourd, ne lui facilite guère la tâche, et la platitude de La colombe et du Chant d'extase dans un paysage triste, les deux Préludes de Messiaen qui ouvrirent ce récital, ne tient certes pas de la qualité de jeu de Marie-Josèphe Jude.
Ce programme intercale lesVariations sérieuses Op.54 de Mendelssohn, quelque peu brouillées par une pédale ingérable, et Trois danses de Richard Dubugnon, sous-Scriabine mâtiné de debussysmes fondus dans une modalité à la Satie qui traficote un Dies Irae totalement anecdotique. Dans un hommage à Jeune France, le compositeur fait figure vieille France sans pour autant revêtir la culture ni les « bonnes manières » que ce terme pourrait évoquer.
BB