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Chroniques
Orchestre national de France
Giuseppe Verdi | Messa da requiem
D’abord hommage à Henri Dutilleux, ce Requiem de Verdi était dédié par l’Orchestre national de France et le Chœur de Radio France à l’Orchestre national de Grèce qui jouait son dernier concert le soir même, après l’annonce faite par le gouvernement de la totale fermeture du service public de radio-télévision grec auquel la phalange était rattachée. S’il est besoin de préciser ce qui pourrait n’être qu’un détail, c’est d’abord parce que ce qui vient d’arriver en Grèce pourrait un jour arriver en France, supprimant du jour au lendemain l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’ONF, et le Chœur et la Maîtrise de Radio France, et ensuite parce que l’annonce faite par la choriste parlant d’une « action portant atteinte à la démocratie » a déclenché avenue Montaigne un fiasco digne de la création du Sacre du printemps.
Les huées lancées à cette phrase, alors qu’il est écrit dans les textes de l’Union Européenne que « le système de l’audiovisuel public dans les États membres est directement liés aux besoins démocratiques, sociaux et culturels de toute société » ont vite été contrées par des applaudissements venant d’abord des balcons supérieurs puis se propageant en bas, le public du parterre demandant surtout de « laisser parler » afin que le discours ne se prolonge trop. Est-il utile de rappeler qu’un concert est un lieu vivant au public disparate, tant en termes d’idées que de classe sociale et d’éducation, et que nous ne pouvons prendre qu’un seul parti : que vivent les orchestres et la musique classique ?
L’Ave Maria d’Otello pour commencer fait entendre la belle voix de Julianna Di Giacomo, remplaçante de Barbara Frittoli. Sorti de son contexte, cette page gagne en mysticisme et prépare à la proposition de Danielle Gatti : les œuvres religieuses de Verdi sont très éloignées des messes de Bach ou de Mozart et c’est avec tension mais aussi agnosticisme qu’elles seront jouées.
Composé en 1874, la Messa da requiem est une pièce complexe à laquelle tous les grands chefs se sont confrontés, à commencer par les Italiens Abbado, Muti ou Chailly pour ne choisir que les plus grands d’aujourd’hui. Danielle Gatti se doit donc lui aussi de faire honneur à la musique de son pays, même si l’on veut trop croire qu’un chef italien est forcément le meilleur pour jouer Verdi et que Gatti a montré dans Parsifal [lire nos chroniques du 2 mars 2013 et du 15 août 2011] et dans Mahler [lire nos chroniques du 1er décembre, du 15 septembre et du 28 mai 2011, entre autres] qu’il n’est pas seulement un chef de répertoire péninsulaire, mais bien plutôt un directeur musical de carrure internationale apportant aux œuvres qu’il joue son propre regard en faisant ressortir des éléments nouveau, jamais entendus de même manière auparavant.
La vision parfaitement agnostique de Gatti permet une grande dynamique et une tension inhabituelle, soutenu par un grand Orchestre national de France qui cette saison n’a pas toujours paru en étroite corrélation avec le chef, mais qui, depuis la fin de l’année, montre un autre visage et retrouve des couleurs et une qualité digne des meilleures formations internationales.
Le quatuor de solistes est plus qu’honnête dans les ensembles, mais aussi décevant lorsque chacun est entendu séparément. Matti Salminen est tendu dans les aigus et le haut-médium ; il ne retrouve réellement des couleurs que dans le bas-médium. Il est à Paris pour trois jours au milieu des représentations budapestoises de Parsifal où son Gurnemanz est beaucoup plus convaincant. Des quatre, la voix la plus convaincante est finalement la Julianna Di Giacomo, déjà citée, non seulement par une belle ligne de chant mais aussi sa maîtrise et la connaissance du texte : elle est la seule à « tenir » plusieurs phrases sans regarder la partition, alors que Fabio Sartori (ténor) est complètement bloqué dans sa projection par une attention permanente à chaque note écrite. Le mezzo-soprano Sonia Ganassi livre certains aigus avec difficulté et le timbre de son haut-médium n’est toujours parfaitement adapté, mais nous restons dans un niveau plus qu’acceptable pour ce concert de saison dont le principal but est de jouer Verdi et non d’utiliser son œuvre afin d’afficher quelques grands noms.
Nous avons assez répété que le Chœur de Radio France est l’un des meilleurs au monde ; il ne déroge pas à la règle. Superbement en place, puissant dans le Dies Irae, il suit parfaitement le chef et propose un volume sonore toujours adapté aux solistes, à l’orchestre et à la salle.
Cette belle soirée aura donc malheureusement sonné aussi un requiem pour l’Orchestre national de Grèce dont nous ne pouvons que regretter la disparition. Un scandale n’était peut-être pas nécessaire pour accompagner ce deuil.
VG