Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre national de France
Eivind Gullberg Jensen joue Chostakovitch, Grieg et Sibelius

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 9 octobre 2008
le jeune chef norvégien Eivind Gullberg Jensen à la tête de l'ONF
© paul bernhard

Bien qu'ayant étudié la musique à Leipzig puis à Copenhague, Edvard Grieg s'ingénierait à magnifier sa culture norvégienne à travers plus d'une de ses œuvres. À la tradition allemande viendra se superposer une inspiration sensiblement nationale, stimulée par la fréquentation de Rikard Nordraak (1842-1866), d’Otto Winter Hjelm (1837-1931) et surtout de Ludvig Mathias Lindeman (1812-1887) dont les collectes d'airs populaires norvégiens nourriront directement sa curiosité. À l'écoute des Danses symphoniques sur des motifs norvégiens Op.64 composées en 1898, on ne contredira pas Aimar Mow Grønvold (1846-1926) qui affirmait impossible de ne pas songer à leur écoute aux paysages dans lesquels vécut le musicien. Demeuré assez rares dans nos salles où l'on entend plus souvent le Concerto pour piano, les Pièces lyriques ou encore Peer Gynt, cet opus rencontre sous la baguette alerte d'Eivind Gullberg Jensen une expressivité volontiers romantique, élégante et contrastée.

Le programme nordique dirigé par le jeune chef norvégien se promène ensuite largement plus à l'est, avec le pétersbourgeois Chostakovitch dont on entend le caustique Concerto en ut mineur pour piano, trompette et cordes Op.35 n°1 de 1933. Après un départ en épingle à cheveux, l'écoute est surprise par la souplesse et la précision du piano, dans une grande rigueur et une sonorité moelleuse à laquelle répondent les contrebasses et violoncelles dans l'énoncé du thème. Tout en étant percussif lorsqu'il le faut, Alexandre Toradzé inscrit l'œuvre dans un certain héritage pianistique russe, celui partagé par Scriabine, Rachmaninov ou Medtner, aussi bizarre que cela puisse sembler, au-delà des différences stylistiques de leur musique. Contrairement à Rostropovitch il y a deux ans [lire notre chronique du 23 novembre 2006], Jensen laisse poindre des tendresses que l'ironie ne vient pas mordre. Aussi assume-t-il l'héritage mahlérien des cordes du Lento, bientôt contrarié par la mélopée de clown triste de la trompette bouchée. Remarquablement sculptural, le piano profite du Moderato pour préparer les clusters du dernier mouvement, ponctuant drolatiquement le solo de trompette dans une sorte de méchanceté rogue. Tout cela n'enlève rien à l'excellent travail de nuance de Guillaume Jehl à la trompette, dans le final, peut-être pris un rien trop lent par le chef. De fait, en remerciement de l'enthousiasme du public, les artistes offriront en bis une lecture un brin plus preste de l’épisode.

Si l'on joue de plus en plus les symphonies de Sibelius, de nombreuses pages du Finlandais demeurent presque inconnues chez nous. Après l'entracte, les flûtistes Andrea Griminelli et Philippe Pierlot gagnent la scène et donnent la Suite mignonne pour deux fûtes et cordes Op.98A. Faisant partie de ces pièces rapidement écrites pour gagner quelque argent afin de rembourser des dettes, cette « œuvrette » en trois mouvements présente de belles qualités de facture et un ton à situer entre le duo d'opéra et le pas de deux.

Contemporaine des Danses symphoniques sur des motifs norvégiens de Grieg, la Symphonie en mi mineur Op.39 n°1 de Sibelius lorgne plus vers la planète Russie que du côté prussien. L'élégie recueillie de la clarinette précède l'envolée chorégraphique du premier mouvement, dont l'exécution contrastée souligne le caractère tragique. On en apprécie la belle gestion de la dynamique des tutti, la tendresse des traits de violon solo ou encore l'élégance du basson. Le climat de l'Andante est ensuite plus accusé par Eivind Gullberg Jensen, décidément bien inspiré par cette musique. À la tonicité enthousiaste de l'Allegro très en relief succèdent des accents proches de Tchaïkovski, dans le Finale, contrariés par ces îlots de vents propres à Sibelius. À sa lecture, le chef impose un grand souffle qu'il entretient sur la longueur, avec la complicité des musiciens de l'Orchestre National de France.

BB