Chroniques

par hervé könig

Orchestre national de France
Éric Le Sage, Frank Braley, Stéphane Denève

œuvres de Mendelssohn, Poulenc et Roussel
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 27 novembre 2014
un programme 100% français par Stéphane Denève et l'ONF
© dr

Voilà, c’est fini ! Les concerts de l’Orchestre national de France n’auront désormais plus lieu (ou presque) au Théâtre des Champs-Élysées, comme nous en avions pris l’habitude, mais dans le bel Auditorium flambant neuf de la maison ronde, avenue du président Kennedy. Ce grand changement a pour vertu d’offrir une acoustique optimale à nos formations radio-symphoniques, mais pour rabat-joie la routine du public qui semble ne pas encore avoir intégré le chemin vers la nouvelle salle dont la fréquentation demeure aérée – c’est le moins qu’on puisse dire… Il faudra un peu de temps aux mélomanes pour intégrer le changement de géographie du terrain musical parisien, un terrain que l’ouverture de la Philharmonie, à la mi-janvier et aux confins de la banlieue nord, ne risque pas forcément de bouleverser plus que la fermeture de Pleyel, dans deux semaines.

Avant de faire sonner le répertoire français le plus « poli » du XXe siècle, le jeune Stéphane Denève (trente-quatre ans) donne la Symphonie en ré majeur Op.107 n°5 « Reformations-Sinfonie » de 1830, conçue par Mendelssohn pour les fêtes du tricentenaire de la Confessio Augustana de Luther, texte fondateur du protestantisme. L’œuvre ne sera cependant pas créée lors de cette célébration qui ne la retint pas, voyant finalement le jour à Berlin, deux ans plus tard. Attention : elle porte le numéro cinq au catalogue, uniquement parce qu’elle fut éditée tardivement, mais c’est en fait la deuxième composée par Mendelssohn. Les cordes de l’ONF l’ouvrent avec joliesse, édifiant l’Andante dans le contraste dessiné par les vents, précurseur du Vorspiel de Parsifal (écrit près d’un demi-siècle après). L’Allegro con fuoco bénéfice d’un traitement vigoureux, quoique sans passion. Autre prémonition : l’écriture des vents de cette séquence du premier mouvement, typique de l’élan brucknérien. Le retour de l’Andante s’effectue dans une lumière spirituelle. Le développement suivant est moins probant quant à l’équilibre des pupitres, un peu bousculé, mais répond présent à la pompe classique de sa fin. Dans le Scherzo (Allegro vivace), la stricte observance du principe rythmique nous reconcentre, quoique les pizzicati ne soient pas systématiquement exacts. Le troisième mouvement n’est certainement pas ce que Mendelssohn écrivit de mieux dans sa courte carrière, c’est entendu, mais l’interprétation du jour semble s’y complaire, étirant chaque effet, laissant au passage apprécier les soli de flûte et de basson. Ein’ feste Burg ist unser Gott, le plus fameux des cantiques de Luther (1526-29), ayant inspiré à Bach sa cantate éponyme en 1724 (BWV 80), justement pour la fête de la Réforme, est le matériau du dernier mouvement. L’exécution n’en est pas indigente, malgré une fugue un peu laborieuse, mais jamais ne gagne les hauteurs de l’enregistrement d’Abbado ni la clarté historique de celui de Norrington.

Après l’entracte, musique française. Et tout d’abord le joyeux Concerto en ré mineur pour deux pianos et orchestre de Francis Poulenc (1932) qu’Éric le Sage et Frank Braley investissent fougueusement. Quelle virtuosité ! Stéphane Denève éclaire l’errance de la partie plus lente par des couleurs délicates, jusqu’à la nouvelle danse, annoncée par les castagnettes. Le final lento de ce premier mouvement, d’une construction si surprenante, est absolument magnifique, ce soir, les artistes surpassant le niveau de leur propre enregistrement de 2004 (avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège). Loin de trainer, le Larghetto central affiche une mobilité évitant la redite, ce qui est bien vu. Bravo au chef qui ne néglige rien des épices rassemblées par Poulenc. Pris dans un train d’enfer, le Rondo accuse quelques glissades, bientôt compensées par des suavités canailles. Voilà un bal où l’on chante bravement ! Nos solistes semblent bien s’amuser, en tout cas. On s’en réjouit, tant la prestation est éclatante.

On retrouve Stéphane Denève dans une pièce qu’il a gravée à la tête du Royal Scottish National Orchestra (Naxos, 2006), la Symphonie en sol mineur Op.42 n°3 d’Albert Roussel. Elle fut écrite en 1929 pour Sergueï Koussevitski et son Boston Symphony Orchestra qui la mirent au monde le 24 octobre 1930. La scansion de l’Allegro vivo s’enrichit ici d’une lecture plus fine, allant chercher dans chaque détail des saveurs dont se passent d’autres chefs. Plus encore que dans le concerto précédent, l’orchestre est à son zénith, de même que l’acoustique précieuse de l’Auditorium, décidément réussi. La chaleur de l’Adagio n’a pas d’égal dans toute la discographie de cet opus, même en cherchant bien (Cluytens est « copieux », Munch l’est trop). Le Vivace balance dans sa chaloupe un brin peuple – un cousinage avec Poulenc, au fond –, puis le dernier mouvement tourbillonne royalement, sans éluder le cœur du trait de violon, somptueux. Cette seconde partie de soirée nous emporte !

HK