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Chroniques
Orchestre national de France
Bernard Haitink joue Mozart et Bruckner
Salle comble, ce soir, pour un concert très attendu du chef néerlandais Bernard Haitink, venu diriger l’Orchestre national de France. On se réjouit de partager avec un public si nombreux la sonorité remarquable de ce bel auditorium qui, dès les premières mesures du Concerto pour clarinette en la majeur K.622 de Mozart démontre une nouvelle fois des qualités encore inégalées sur la capitale.
Si l’inflexion générale de l’introduction de l’Allegro serein fait florès par sa vivacité, les cordes de la formation radio-symphonique ne parviennent pas à faire illusion : absence de couleur, exécution droite et terne, cohésion parfois aléatoire, on est loin de l’élégance qu’on en attendait. L’entrée soliste se laisse aimablement découvrir, livrée par Patrick Messina, première clarinette solo de l’ONF depuis près de douze ans. C’est joliment volubile, incontestablement bien respiré, mais l’approche s’en tient là. Outre quelques maladresses aux cors, notons un final de mouvement franchement savonné, peu digne de ce qu’on entend sous ces archets d’habitude. Le fameux Adagio de cette ultime page concertante de Mozart jouit d’un traitement technique plus sérieux. Les musiciens se sont ressaisis, servant alors plus soigneusement la tendre mélancolie du passage. De même la partie de clarinette semble-t-elle plus habitée. Le Rondo conclusif confirme des pupitres désormais totalement réveillés et, du coup, plus à leur affaire. La fraîcheur du jeu de Patrick Messina convainc tout-à-fait, y compris dans le développement en mineur auquel la baguette imprime une nervosité déroutante, intéressante.
La seconde partie de la soirée n’a strictement rien à voir avec cet apéritif. Immédiatement, la masse orchestrale enveloppe de son frémissement souterrain le départ de la bouleversante Symphonie en ré mineur n°9 d’Anton Bruckner. Dans cet aura impressionnante du très grand effectif, Bernard Haitink cisèle admirablement chaque trait, sans accentuer trop les attaques ; au contraire il profite du fondu des cordes, cette fois parfaitement à jour (l’exactitude des pizzicati) pour mener à la surface les surprenantes dissonances de cette œuvre nous montrant un vieux compositeur encore bien de son temps, voire du futur (la Neuvième date de 1894). Une lumière formidable se répand sur la deuxième partie du mouvement, très lyrique, mais sans épanchement. Le chef n’accuse rien, avance en contrôlant l’expressivité. Les interventions des bois font l’objet d’un soin remarquable. Après le drame, crise terriblement ancrée par cette baguette qui tisse dans l’invisible, la troisième section s’abat, violence austère et sans appel. Pas un bruit entre ce final et l’arrivée du Scherzo : l’auditoire est captif.
Et quel Scherzo ! Haitink ne laisse aucun détail au hasard, concentre extraordinairement l’énergie, sans déperdition aucune, profite de flûtes hallucinées et de la hargne des cuivres, superbe, et bifurque soudain dans un trio de ballet, électrique. Le retour du motif principal gagne ensuite en épaisseur comme en tonicité – et c’est un tour de force que d’allier ainsi les deux caractères. Cette vigueur d’Apocalypse, toutefois jamais brutale, laisse le public pantois. Un silence absolu s’installe entre les deux mouvements. Dès sa première phrase, dénuée de tout pathos, mais encore dans la sonnerie désolée des Wagnertuben, l’interprétation atteint une portée spirituelle indescriptible qui investit tout un chacun comme c’est très rarement le cas. L’onctuosité des cordes vient interroger l’Abschied. Le climax est peu à peu mené jusqu’à son apogée, poignante. De ces hauteurs tragiques, il ne sera pas facile de redescendre, même avec ce calme velours que Bernard Haitink élit pour éteindre la symphonie – pas de Finale, ce soir : le chef s’en tient à ce qui n’est que de la main de Bruckner. On ne pourra que saluer bien bas l’interprétation exceptionnelle de cette grande œuvre.
HK