Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre Symphonique et Chœur Philharmonique de Prague
Mendelssohn | Symphonie en si bémol majeur Op.52 « Lobgesang »

Pražské jaro / Smetanova síň, Prague
- 24 mai 2012
le chef britannique Christopher Hogwood joue Mendelssohn à Prague
© pražské jaro | zdeněk chrapek

C’est à deux compositeurs qui, à leur façon, se sont activement penchés sur la musique du passé, au point d’éprouver la nécessité de la réécrire (de la « recréer », si l’on peut dire), que se consacre la soirée de l’Orchestre symphonique de Prague (Symfonický orchestr hlavního města Prahy FOK). D’abord avec le tout dernier opus d’Igor Stravinsky, c’est-à-dire l’orchestration de Quatre préludes et fugues de Bach (1969), dont nous entendons le n°4 en ut # mineur BWV 849 (Livre I) puis le n°11 en fa majeur BWV 880 (Livre II), sous la battue de Christopher Hogwood qui en est l’éditeur (Boosey & Hawkes).

La fluidité des cordes du premier surprend, flatte même, s’imposant par une appréciable précision que transmet parfaitement l’acoustique aiguisée de la magnifique Salle Smetana (Smetanova síň), sise à la Maison municipale (Obecní dům), délire Art nouveau somptueusement orné. La Fugue est exposée par un basson avantageusement coloré, peu à peu construite par l’entrée de la clarinette puis par tous les bois. On reconnaît là le goût de Stravinsky pour la petite harmonie, croisé près de cinquante ans plus tôt dans sa Symphonie d’instruments à vent (entre autres). C’est dans une inflexion plus ronde qu’est ensuite donné le Prélude BWV 880 qui suit le même modèle : les cordes pour le Prélude, les vents pour la Fugue. Le chef porte cette page dans une grande respiration lyrique, nous amenant à ce paradoxe d’avoir à dire que cela sonne « ancien », eu égard aux versions « baroques » qui sonnent d’aujourd’hui… Trois clarinettes jouent la Fugue dans une facture étonnamment organistique.

Répondant à la commande du chef et mécène suisse Paul Sacher destinée à célébrer le vingtième anniversaire de son Kammerorchester de Bâle, Stravinsky livre en 1946 un Concerto en ré pour cordes, où se rencontre une effervescence joueuse. Dès le Vivace, on prédit la verve de Rake’s Progress – encore [lire notre chronique de la veille] –, en plus riche toutefois. L’inspiration italienne baroque s’y trouve contrariée par une couleur curieusement viennoise que révèlent somptueusement les pupitres de l’Orchestre symphonique de Prague – convenons de la couleur inimitable des cordes tchèques [lire notre chronique du 29 janvier 2011]. L’exactitude des différentes attaques, autrement dit les jeux sur la nature même de l’émission du son, cisèle un relief certain à l’interprétation du Vivace. Encore cette inspiration italienne croise-t-elle l’héritage tchaïkovskien de Stravinsky dans l’Arioso-Andantino que le chef britannique prend dans une saveur un rien chocolaté – mieux : quelque chose d’un semifreddo di pistacchio con caffè caldo… Avec le Rondo final surgit une signature stravinskienne plus frémissante, dans une harmonie moins simplette. Après les bondissements tendus, l’ultime accord gagne une indicible profondeur.

Lorsqu’on parle Bach, on parle forcément Mendelssohn. Mais encore faudra-t-il, parlant Mendelssohn, penser à Beethoven. Car en 1838, le Hambourgeois alors en poste à Leipzig se lance dans l’écriture d’une symphonie avec voix solistes et chœur qui n’est pas sans rappeler l’illustre Neuvième et son Ode à la joie (1824), mais encore, par certains aspects, les chorals d’une certaine Matthäus Passion qu’il dirigeait une dizaine d’années plus tôt, à Berlin. Après trois mouvements au romantisme relativement « classique », l’œuvre engage un vaste Lobgesang (chant de louange) pour deux soprani, ténor, chœur mixte et orchestre, véritable cantate qui couronne l’édifice, empruntant pour ce faire aux Écritures (plus précisément aux Psaumes 17, 18, 28, 33, 40, 56, 96, 103, 107, 116, 145 et 150) ainsi qu’au théologien (et musicien) protestant Martin Rinkart (1586-1649).

Salve de cuivres imparable, équilibre frappant de la troisième sonnerie dans le brio de laquelle se perçoivent soudain les flûtes, ainsi s’engage le Maestoso initial dont l’Allegro médian s’avère gracieux, dans un dessin déjà brahmsien (il n’est cependant pas encore né, mais sans doute ira-t-il chercher de ce côté-ci des choses, lui qui ne dédaignera pas non plus le passé). La polychromie de l’Allegretto fascine, tandis qu’un choral Adagio religioso prépare l’imminente arrivée des voix.

Et quelles voix ! Il s’agit ce soir du Chœur Philharmonique de Prague (Pražský filharmonický sbor) qui assène un Alles, was Odem hat, lobe den Herrn ! vigoureusement vaillant. Sa prestation ne déméritera pas de toute cette quatrième partie, déployant des trésors de nuances comme peu de formations savent s’y employer. Côté solistes, Yukiko Šrejmová Kinjo (soprano II) brille par un chant élégamment serti tandis que Ludmila Vernerová arbore un timbre plus généreux. Pourtant, aucune des deux semble chercher à dire ni même à comprendre le texte, à l’encontre de Martin Šrejma, ténor autrement convainquant, qui met systématiquement une riche palette expressive au service des mots comme des notes. Accordant un soin à chaque détail comme au geste général, Christopher Hogwood signe une exécution magistrale de cette symphonie relativement rare au concert.

BB