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Chroniques
Orchestre Voltige et Orchestre d’harmonie d’Épehy
Hervé Brisse, Gilles Czwazrtkovsky et Thierry Deleruyelle
Si l’on célèbre généralement la qualité des vents dans les orchestres français, parfois perçue comme l’une des pierres de touche de ces derniers, les formations d’harmonie ne bénéficient guère d’une tribune médiatique à la mesure de leur diffusion sur l’ensemble du territoire. Pourtant, le domaine ne se réduit pas aux bandas municipales sympathiques, au niveau parfois aléatoire. Certes, la sociologie des ensembles fait apparaître un relatif tropisme militaire, mais il serait précipité de croire leur répertoire limité aux opérations de prestige du Ministère de la Défense. C’est pour bousculer ces préjugés que le Festival de Saint-Riquier – en collaboration avec le programme multidisciplinaire Lille 3000, Eldorado, placé sous la thématique de l’Amérique latine, et plus particulièrement le Mexique – a concocté une journée mettant en valeur les orchestres d’harmonie, opportunément intitulée Quoi de neuf Monsieur Sax ?, en cette année de commémoration du cent cinquantième anniversaire de la mort de Berlioz, quand on sait que ce dernier fut l’un des premiers à écrire pour l’instrument inventé par son ami – avec le Chant sacré.
Attentive à faire essaimer le festival dans l’ensemble de la Baie de la Somme, et au delà dans le département, la programmation investit plusieurs villages pour faire entendre des phalanges locales qui témoignent du dynamisme particulier des terres picardes dans la pratique des bois et des cuivres. Le conte musical de l’après-midi, autour de la légende du Machu Picchu, et les aubades sur le parvis signalent un travail honnête, défendu avec enthousiasme, qui tient lieu d’apéritif avant le concert du soir, démenti à la caricature du répertoire pour harmonie.
Basé à Douai et réunissant des pupitres de vents professionnels et amateurs, l’Orchestre Voltige, aux effectifs ici renforcés par l’Orchestre d’harmonie d’Épehy, et placé sous la direction d’Hervé Brisse, entonne deux augurales Fanfares liturgiques de Tomasi, Annonciation et Procession nocturne du Vendredi Saint. Le bronze altier de la première laisse respirer une écriture aérée qui ne confond pas solennité et cérémonial, lequel sera l’apanage de la seconde, développant une pâte généreuse et lumineuse au fil d’un rituel calibré, aux confins cinématographiques.
La versatilité du Concerto pour piano et vents de Stravinsky n’effraie pas Dana Ciocarlie. Le perpetuum mobile initial, enchaînant quatre tempi (Largo – Allegro – Più mosso – Maestoso) ne laisse que l’introduction empesée pour répit à l’interprète, dont la pyrotechnie digitale est mise en avant par une orchestration ponctuant de manière ductile la volubilité du clavier. L’épisode lent (Largo – Più mosso – Tempo primo) offre une pulsation intérieure habitée par le jeu concentré de la soliste, laquelle n’oublie pas les accents pastoraux relayés par la réponse presque homophonique d’une facture orchestrale qui ne confond pas pesanteur et gravité. Le finale (Allegro – Agitato – Lento – Stringendo) restitue l’alchimie entre vivacité quasiment mozartienne du ton et intarissable ivresse rythmique, poussée par l’acoustique dans les retranchements de ses décibels. La transcription de l’Habanera de Chabrier referme cette première partie sur un balancement agréablement chaloupé, émondé de la mutine cristallisation tendrement sirupeuse des cordes.
Après l’entracte retentit la commande passée à Thierry Deleruyelle dans le cadre des festivités éponymes, Eldorado. Sans prétentions d’avant-garde, cette pièce de circonstance offre une généreuse tribune aux cuivres, la chair d’une pâte ronde et un crescendo habile, baignant dans un imaginaire de conquistadors que l’on aurait tort de bouder, au delà d’une évocation plus fantasmatique qu’historiquement informée. Au demeurant, Orient et Occident de Saint-Saëns relève de la même veine – c’est peut-être la raison pour laquelle le compositeur d’Eldorado passe à la baguette. On reconnaît la maîtrise des effets chers au maître français en une dialectique dont l’issue ne laisse guère de doute, assimilant dans une puissance martiale les camaïeux exotiques de l’ailleurs, ici développée de manière lisible.
Conclusion magistrale de la soirée, placée sous la houlette de Gilles Czwartkovsky, la Grande symphonie funèbre et triomphale Op.15 de Berlioz est donnée dans sa version sans chœur. L’opus s’ouvre sur un long et exigeant solo de trombone, admirablement tenu par Jean-Philippe Navrez (qu’auront reconnu les habitués de l’Orchestre national de France). L’intonation moelleuse séduit ; elle arrondit le phrasé d’une belle prestance qui évite de verser dans une sonorité trop frustre. L’équilibre de cette mouture élude quelque peu les moires lugubres de la première partie et regarde nettement vers une péroraison solide. Peut-être un peu unilatéral dans sa conception, le résultat ne cède pas pour autant au monochrome et célèbre, en même temps qu’une figure encore négligée par le panthéon musical hexagonal, les couleurs des formations d’harmonie.
GC