Chroniques

par françois cavaillès

Orfeo | Orphée
favola in musica de Claudio Monteverdi – mise en espace de Jean Bellorini

Festival de Saint-Denis / Basilique
- 20 juin 2017
Leornado García Alarcón joue Orfeo (1607), favola in musica de Monteverdi
© festival de saint-denis | ch. fillieule

L'été était en avance à Saint-Denis – mais bien des spectateurs en retard, pour cause de longue panne de métro. Grand soleil et ciel bleu dehors, ainsi donc une petite impression de sauna à l'intérieur, assis bien serré sous les arcs de la haute voûte, pour ce grand rendez-vous lyrique qu'est Orfeo de Monteverdi, œuvre archétypale par son sujet et sa forme, révolutionnaire lorsque créé en 1607, à la cour de Mantoue. Dans ce possible pendant aux Vêpres de 1610, les esprits de l'amour et de la mort sont convoqués pour atteindre au chef-d’œuvre musical en général, le génie de Monteverdi dépassant tous les genres, déchirant toutes les étiquettes, musique ancienne ou autres.

Après une toccata astrale, éclatante ce soir comme Surya l'œil du monde, c'est toujours la même ritournelle qui nous envahit, et cette phrase musicale d'introduction à l'univers mi-divin mi-humain d'Orfeo apporte la bouffée d'air frais tant désirée. En effet, le chef argentin Leornado García Alarcón et sa Cappella Mediterranea effectuent un sobre travail de restitution, avec délicatesse et grand soin de tenir en équilibre le lyrisme de la célèbre favola. Les scènes bien connues (pastorales, puis infernales) alternent, suivant le fil charmant de l'intrigue.

Au cinquantième Festival de Saint-Denis, cette représentation imprégnée de la vision de Jean Bellorini (mise en espace et lumière) fait sensation de matière désenchantée. Ainsi au premier acte, l'union entre Orphée et Eurydice, en habits blancs, entourés des invités de la noce comme lors d'un mariage contemporain, paraît presque mièvre. Mais au revers de la médaille, à travers un merveilleux passage éclairé à la lueur vacillant des bougies (Acte III), on parviendra au bal final dans un environnement tout opposé, aux vêtements noirs et au caractère nettement âpre.

En quête du sacré qu’en musique Monteverdi exprima en puisant à des sources d'inspiration ouvertement religieuses ou en cheminant sur les cimes littéraires (Le Tasse, Pétrarque et autres immenses poètes italiens), il convient de suivre Eurydice en l'instant magnifique où elle chante sa perte (Acte IV), transportée dans les airs mais comme prisonnière derrière un rideau de flammes. L'excellent soprano de Francesca Aspromonte a gagné en rondeur et, mis à part quelques minauderies dans le rôle de la Musique (Prologue), la jeune cantatrice rayonne tout bonnement. Une Perséide à ne pas manquer dans les cieux de France aux tout prochains festivals.

Moins onirique peut-être, l'Espérance d'Anna Reinhold n'en est pas moins habitée et mélodieuse. Le mezzo-soprano français trouve ensuite en Proserpine un personnage moins favorable car plus emmuré, régnant dans les enfers du IV. La messagère incarnée par le mezzo Giuseppina Bridelli séduit beaucoup, harmonieuse, juste et affligée, tout comme le soprano Amélie Renglet, à l’émission remarquable en tant que nymphe.

Aux hommes reviennent les rôles principaux les plus sombres, telle une mâchoire inférieure broyant le noir du récit. Ainsi une belle molaire en serait la basse Salvo Vitale (Charon), guttural et captivant à la lisière du comique, et une intéressante canine le ténor Valerio Contaldo (Orphée), au chant plus sage et à l'aise dans l'outre-tombe. Mais dans la sarabande orphique, le plus grand ravissement provient du Chœur de chambre de Namur. Qu'il se montre romantique en ses lamentations ou vigoureux dans les ballets... divin !

Au terme du dernier acte, la décharge d'énergie finale quand, le chef sautillant, l'orchestre s'est lancé à toute vitesse dans la mauresque, est extrêmement bienvenue. Acclamée par le public et enjouée par les chanteurs, c'est en fait une chance de bousculer l'ordre très grave de cet Orfeo et qu'enfin les hommes rejouent le mythe.

FC