Chroniques

par irma foletti

Orfeo | Orphée
dramma per musica de Nicola Porpora

Festival della Valle d’Itria / Palazzo Ducale, Martina Franca
- 2 août 2019
redécouverte absolue au Festival della Valle d’Itria: "Orfeo" de Nicola Porpora
© clarissa lapolla

Le Festival della Valle d’Itria propose, pour une unique soirée, Orfeo, composé par Nicola Antonio Porpora et créé au King’s Theatre Haymarket de Londres en 1736. Ce soir, il s’agit de la première représentation des temps modernes de ce dramma per musica en trois actes de type pasticcio, d’une durée globale d’environ trois heures. La musique est de Porpora (1686-1768) lui-même, mais aussi très largement empruntée à Johann Adolf Hasse (1699-1783), Leonardo Vinci (1690-1730), Francesco Araja (1709-c.1770), Francesco Maria Veracini (1690-1768) et Geminiano Giacomelli (1692-1740). Les sons, l’orchestration, les mélodies évoquent régulièrement Händel, autre compositeur et principal concurrent de Porpora sur la scène londonienne de l’époque. Le premier grand triomphateur de la soirée est George Petrou à la tête de son ensemble baroque Armonia Atenea [lire nos chroniques d’Il trionfo di Clelia, Siroe, Arminio et du récital händélien de Max Emanuel Cenčić]. Les musiciens répondent parfaitement aux moindres intentions du chef grec, à la gestique souvent ample – en particulier quelques attaques aux cordes font entendre un mordant enthousiasmant. La formation est continuellement virtuose et d’une cohérence sans faille.

La distribution vocale est de belle qualité, avec deux contre-ténors assez différenciés. D’abord, Raffaele Pe compose un Orfeo à la voix concentrée, qui sait aussi se montrer élégiaque, comme lorsqu’il chante à la nature l’air Sente del mio martir pietade almeno tutto, joliment doloriste, puis un peu plus tard Son pastorello amante e sventurato, encore plus aérien et délicat, une merveille de chant qui touche l’âme. Il en est de même au troisième acte dans le long et fort beau lamento qui vient plaider la cause d’Euridice pour la ramener dans le monde des vivants. Il fait aussi preuve de vélocité dans les passages plus fleuris, sa limite étant de rares suraigus mal assurés [lire nos chroniques de Didone abbandonata et d’Ipermestra]. L’autre contre-ténor, Rodrigo Sosa Dal Pozzo en Aristeo, fait entendre à l’entame un timbre plus doux et moelleux, qui s’épanouit par la suite et se montre également capable de vivacité dans les passages plus agités [lire notre chronique des Nozze in sogno]. En Plutone, le baryton-basse Davide Giangregorio complète la partie masculine, beau grain noble, toutefois limité dans le grave, voix assez souple bien que mise en difficulté dans les passages ornés du troisième acte.

Giuseppina Bridelli interprète une Proserpina d’une pure voix de mezzo baroque, joli son et vélocité pour les traits d’agilité. Son air d’entrée, Chi mi lascia a’ miei voleri, est peut-être le meilleur de la soirée, d’une extrême difficulté avec vocalises et reprises à répétition. Elle délivre un art du chant qui évoque l’âge d’or des castrats [lire nos chroniques de L’incoronazione di Dario, de l’Orfeo de Rossi et de l’Orfeo de Monteverdi]. Le soprano Anna Maria Sarra est une Euridice à la voix bien conduite, qui négocie avec bravoure les grands écarts de la partition et réussit ses suraigus en notes piquées, comme dans Ah, non lagnarti, no, en fin de premier acte. À d’autres moments, l’instrument fait toutefois sentir ses limites d’abattage [lire notre chronique de L’incoronazione di Poppea]. Le rôle moins développé d’Autonoe est attribué à Federica Carnevale, autre beau mezzo d’école baroque, aux vocalises bien détachées [lire nos chroniques de La vera costanza et de L’inimico delle donne]. On note aussi les interventions sporadiques mais bien chantantes de quatre artistes, deux femmes et deux hommes, de l’Accademia del belcanto Rodolfo Celletti.

Le spectacle de Massimo Gasparon [lire nos chroniques de Dido and Æneas, Francesca da Rimini, Norma, Sakùntala et Un giorno di regno], en charge également des décors, costumes et lumières, est esthétique et agréable à regarder, même si l’on peut penser plus d’une fois à une mise en espace en costumes. Ceux-ci sont d’une grande opulence baroque pour les dieux (Plutone et Proserpina), habits violets rehaussés de reliefs dorés (cuirasse et casque) et de plumes sur la coiffe. Les costumes des quatre humains sont d’une richesse classique qui en jette et change agréablement des habituelles relectures et autres transpositions régulières. Sur le plateau, un grand portique se sépare en trois compartiments, rideaux noirs tirés qui découvrent un intérieur blanc avec un podium central accessible par quelques marches. Un proscenium donne la possibilité aux protagonistes de venir s’exprimer devant l’orchestre, au plus près du public, une fois à gauche puis une fois à droite – ou l’inverse – pour satisfaire chaque spectateur. L’accueil s’avère très chaleureux et les applaudissements sont nourris à la fin de la représentation.

IF