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Chroniques
Orlando | Roland
opéra de Georg Friedrich Händel
Fermons les yeux sur les coupures pratiquées à la serpe dans un livret qui n'en demandait pas tant. De tous les opéras de Händel Orlando est celui où règne en maître l'esprit baroque – sans doute autant, voire davantage, que dans Alcina et Ariodante. L'intrigue est « imbitable » et presque drôle à détailler, tant on risquerait de se perdre dans les méandres et les lacs du délire narratif. Résumons donc sommairement : Orlando, héros tiraillé entre l'amour et la gloire, aime Angelica, la reine de Cathay. Celle-ci feint de répondre à ses sentiments mais partage en réalité une idylle avec le prince Medoro pour lequel la bergère Dorinda se languit vainement. Un jeu subtil et complexe fait se croiser jalousies, contrariétés, mensonges et faux-semblants jusqu'au moment où Orlando finit par sombrer dans la folie au terme d'une scène mémorable. Zoroastro intervient et, recouvrant ses esprits, Orlando pardonne aux deux amoureux tout en optant définitivement pour la gloire et en abandonnant Dorinda à sa triste solitude.
Formellement, cet opéra est très proche du style cornélien de l'Illusion Comique. C'est une pastorale qui ne dit pas son nom ; toutes les scènes se déroulent en extérieur, avec la nature tantôt comme rideau de projection ou cadre allégorique des tourments amoureux et psychologiques. Le livret se base sur une adaptation anonyme de celui de Carlo Sigismondo Capeci, Orlando ovvero La gelosia pazzia (1711), destiné à l'origine à un opéra perdu de Domenico Scarlatti à partir des livres XIX à XXXVIII de l'Orlando furioso de L'Arioste (1516). Le livret de Capeci comportait un couple – Isabella et Zerbino – qui fut supprimé par la suite (à l'exception d'une apparition furtive d'Isabella). Fut en revanche ajouté le mystérieux personnage de Zoroastro, préfigurant Oberon de Shakespeare – arbitre des amours et des destinées.
Mis en scène par Éric Vigner en octobre, ce spectacle débarque de Bretagne sous les ors somptueux du théâtre royal après quatre représentations au Capitole de Toulouse. D'emblée, l'absence de rideau laisse voir une scène sans décors fixes, vaguement éclairée par des néons post-modernes qui éclairent les équipements techniques entreposés tout au fond. Sur un étrange IPhone géant suspendu au-dessus des protagonistes défilent surtitres et extraits vidéo (notamment la première scène du Mépris de Godard avec Piccoli et Bardot allongés sur un lit). Ce qui sert de décor descend (bruyamment) des cintres dans un jeu incessant de va-et-vient qui finit par lasser. Seules les lumières de Kelig Le Bars parviendront un peu à faire oublier ces frustes panneaux de bois ou ces rideaux de perles figurant des sous-bois.
On l'aura compris, l'heure est à l'elliptique et au conceptuel. Zoroastro est sanglé dans sa veste de responsable du Komintern, avec casquette et petit livre rouge, Orlando traîne son profil fantomatique sur les planches, vaguement décati à la manière de Gustav von Aschenbach dans Mort à Venise. L'onirisme et les mystères peuvent attendre… tout est fait pour dégager au maximum les fils de l'intrigue amoureuse et l'évolution psychologique du personnage principal.
En ce soir de première, on sent dans le plateau vocal une volonté de prendre ses marques et de s'accoutumer à l'acoustique assez mate. Le jeune soprano slovaque Adriana Kučerová est annoncé souffrante mais réussit à aller au bout du rôle d'Angelica sans trop de dommages. Sans pouvoir les admirer pleinement, on perçoit de prometteuses qualités de legato et de couleur. Kristina Hammarström est un Medoro très convaincant sur le plan vocal, mais un brin limitée dans le jeu. La Dorinda de Sunhae Him offre un format modeste et des intonations bien piquantes. On est pourtant surpris de ce qu'elle parvient à réaliser dans les changements de registres et les notes tenues. Sa prestation rend plus cruelle encore l'absence du grand air de Dorinda, passé à la trappe pour d'obscures raisons. Le Zoroastro de Luigi De Donato mérite nos applaudissements ; le timbre est sain et l'émission correcte, malgré une ligne un peu sèche dans le legato. Dans le rôle-titre, le contre-ténor David DQ Lee attire évidemment l'attention pour l'étrangeté de son patronyme, mais l'onomastique ne suffirait pourtant pas à détailler ses qualités intrinsèques. La voix chevrote dans la première scène mais, une fois passé le trac initial, elle se déploie et manie les effets pyrotechniques avec maestria. Dans les périlleux changements de registres de la scène de la folie, il utilise astucieusement sa voix de poitrine pour descendre dans le grave et ainsi escamoter quelques vocalises peu commodes.
Dans la fosse se joue le grand mystère entre la direction illisible de Jean-Christophe Spinosi et le plaisir tangible des musiciens de l'ensemble Matheus. Hormis quelques dérapages et des pupitres de cordes assez faux à des moments stratégiques, les instrumentistes possèdent la pierre philosophale qui sait convertir une danse de Saint-Guy en vrais beaux moments de poésie.
DV