Chroniques

par irma foletti

Orlando | Roland
opéra de Georg Friedrich Händel

Oper, Francfort
- 25 février 2023
Orlando, opéra d'Händel mis en scène par Ted Huffman à l'Opéra de Francfort
© barbara aumüller

En proposant cet Orlando, on pourrait croire que l’Opéra de Frankfurt fait un peu de concurrence au concomitant Internationale Händel Festspiele de la ville, assez proche, de Karlsruhe, que nous rejoindrons dans quelques jours [lire nos chroniques de Semele, Héroïnes antiques, Dixit Dominus, Arminio et Alcina]. Mais on peut aussi penser qu’une telle affiche est le fruit du hasard dans la très riche programmation de cette maison de répertoire, qui alterne un nombre impressionnant de titres au cours de sa saison.

La nouvelle production de Ted Huffman [lire nos chroniques de Madama Butterfly, Il trionfo del tempo e del disinganno et L’incoronazione di Poppea], dont la première eut lieu le 29 janvier dernier, est basée sur l’élément scénographique principal imaginé par Johannes Schütz : une hélice monumentale à quatre pales à angles droits, fixée sur son axe vertical. Cette sorte de turbine imposante tourne, régulièrement poussée par quatre personnes à tour de rôle – deux danseuses et deux danseurs. Les parois en tissu de voile sont agrémentées des projections vidéo de Georg Lendorff, en fait invariablement des ombres de feuillages. Si l’on apprécie la simplicité du concept, qui permet de rapides enchaînements entre les nombreuses scènes successives de l’opéra, une certaine monotonie s’installe toutefois avec une grande prévisibilité de l’esthétique du tableau suivant.

Mais c’est surtout la présence et le jeu des quatre danseuses et danseurs, tout de noir vêtus, qui commencent à irriter, principalement au cours du premier acte. Le plus souvent paraphrasant en mouvements ce qui est chanté par les protagonistes, ils sont un peu trop présents pendant les premiers airs où les solistes ne sont pas vraiment seuls : Orlando assis à côté d’une personne, puis dansant avec une autre pour la suite de son air, ou encore Dorinda se faisant caresser par les quatre. Cette présence devient heureusement plus légère par la suite, les comparses en étant uniquement réduits à pousser le mécanisme de moulin, ou à se tenir sur les côtés ou à l’arrière du plateau pendant de longs passages des deux derniers actes.

La distribution vocale est de très bonne tenue, le choix étant fait d’attribuer le rôle-titre au mezzo Zanda Švēde, doté d’un timbre splendide mais d’une puissance mesurée, surtout dans le registre grave [lire notre chronique de Radamisto, apprécié ici-même]. Son grand air Fammi combattere, en fin de premier acte, est déroulé avec soin mais sans brillant particulier, transposé à l’aigu lors de reprises pour amener quelques décibels supplémentaires, les vocalises passant par instants à la limite.

Les deux soprani impressionnent beaucoup plus, en premier lieu l’Angelica de Kateryna Kasper, une voix bien exprimée du grave nourri jusqu’au suraigu, variant les nuances entre d’ineffables piani et des notes plus sonores. La chanteuse est sans doute la meilleure pour la maîtrise des nombreux passages fleuris, et gère avec précision les quelques intervalles vertigineux de la partition. Disposant également d’une grande musicalité, sa consœur Monika Buczkowska en Dorinda, joue de son instrument fort dynamique et sonore, moins confortable toutefois dans la partie grave. Son air du troisième acte, Amore è qual vento, est vif et pétillant à souhait. Vocalement, on identifie rapidement Kateryna Kasper en Comtesse des Nozze di Figaro (Mozart), quand Monika Buczkowska évoquerait davantage Susanna, sentiment renforcé par les costumes imaginés par Raphaela Rose, longue et bouffante robe à traîne pour la première et jupe à panier retenue par des bretelles sur T-shirt marinière pour la seconde, lui donnant ainsi des traits de personnage comique.

Côté masculin, Christopher Lowrey (Medoro) est un contre-ténor agréable de timbre et au style élégant, émettant plusieurs notes en sons fixes, sans vibrato au départ, pour renforcer le sentiment de douleur [lire nos chroniques d’Ippolito, Elena, A midsummer night's dream, Nabucco, Tamerlano, Hamlet et La divisione del mondo]. Entre basse et baryton-basse, Božidar Smiljanić incarne avec profondeur et autorité le sévère magicien Zoroastro, suffisamment souple pour assurer les passages d’agilité. Mis à part le lieto fine conclusif, passage du spectacle où la chorégraphie réglée par Jenny Ogilvie est la plus prégnante, les ensembles sont rares dans l’opus d’Händel, et l’on en apprécie que plus le trio entre Angelica, Dorinda et Medoro, Consolati o bella, qui ferme l’acte premier, subtil extrait où les lignes mélodiques s’entremêlent.

Simone Di Felice dirige le Frankfurter Opern- und Museumsorchester qui sonne ce soir comme une formation baroque, les vents en particulier. Le son collectif est joli et équilibré, les tempi relativement modérés, des rythmes par exemple assez éloignés des fulgurances d’un Rousset ou d’un Minkowski. Certains contrastes en deviennent un peu atténués, vraisemblablement au profit de la maîtrise et de la cohésion de l’ensemble. À part de rares notes prosaïques aux cors – par exemple pendant l’air d’entrée d’Orlando, Non fu già men forte –, la qualité technique des musiciens ne se relâche pas un instant. On admire enfin la qualité et l’expressivité du continuo (violoncelle, luth, clavecin).

IF