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Chroniques
Orphée et Eurydice
opéra de Christoph Willibald Gluck
On ne saluera jamais assez ce qu’autorise et avantage l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris : offrir à une douzaine de jeunes artistes une immersion dans le quotidien de leur métier en devenir, à travers un suivi pédagogique attentif et la production de spectacles où le talent comme le savoir-faire se confronte à la pratique. Ici et là, l’on croise quelques distributions dites « Jeunes voix » ou « Jeunes talents », etc., démarches à situer à l’opposé de celle de l’Atelier en ce qu’elles occasionnent à de nouveaux chanteurs loin d’être aguerris au répertoire d’éphémères prises de rôles qui, trop souvent, s’avèrent de durables prises de risque – combien de « grands rôles » confiés à des voix qui ne sont pas encore prêtes à les défendre en toute sécurité, par exemple ? Bien plus que ces faciles et souvent dangereux coups de projecteurs, les activités de l’Atelier lyrique constituent une école véritable. Quelques semaines à peine après L’heure espagnole de Ravel [lire notre chronique du 25 mars 2011], quelques mois après Street Scene de Weill [lire notre chronique du 18 décembre 2010], c’est à Gluck via Berlioz que se mesurent six de ses voix.
D’abord Orfeo ed Euridice pour sa création en langue italienne à Vienne le 5 octobre 1762, l’opéra de Christoph Willibald Gluck devient douze ans plus tard (2 août 1774, Paris) Orphée et Eurydice, optant au passage pour une caractérisation vocale différente du rôle-titre et usant d’un autre livret. À la fin de sa vie, Hector Berlioz se penche hardiment sur trois œuvres de Christoph Willibald Gluck : ses Armide de 1777, Alceste de 1767 et Orphée. C’est pour la voix de Pauline Viardot qu’en 1859 le romantique français « décide de revenir à la version de Vienne […] oubliée depuis le temps où Gluck avait adapté en français Orphée et Eurydice […] pour Paris et un ténor. En fait, il s’essaie à rassembler le meilleur des deux versions, polissant les accords, modifiant le livret en conséquence, tâchant de supprimer les ajouts anonymes et les erreurs de copie qui avaient fini par défigurer l’ouvrage au fil du temps ; mais y portant aussi sa griffe et les traits inhérents aux désirs de Viardot et aux impératifs du théâtre. […] Singulièrement, c’est à cette refonte que l’opéra doit sa postérité, au point qu’il s’est ainsi longtemps perpétué, le plus souvent sur un livret italien traduit du français et sans mention de l’auteur des remaniements » (in Pierre-René Serna, Berlioz de B à Z, Van de Velde 2006).
Trois distributions alterneront sur les six représentations données à Bobigny. En ce soir de première, la voix large d’Elisa Cenni (dont l’impact généreux gagnera à ce qu’on le canalise au profit de la stabilité de la hauteur) se met au service de L’Amour. Avec une couleur vocale attachante et une diction irréprochable, l’Eurydice de Chenxing Yuan convainc aisément. L’Orphée de Marianne Crebassa [lire notre chronique du 14 juillet 2010], quoiqu’accusant dans les premiers temps une prosodie parfois un peu laborieuse mais toujours avantageusement phrasée, bénéficie d’une saine homogénéité sur l’ensemble de la tessiture et d’une évidente expressivité ; il affirme des vocalises qui semblent faciles et une certaine présence scénique. Aux forces du Jeune Chœur de Paris se conjuguent celles du Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs, préparées par Olivier Bardot et Henri Chalet, pour une prestation à la musicalité certaine mais qui trop néglige la transmission de la langue.
À évoquer cet aspect de la soirée, nous touchons un problème plus profond auquel contribue deux écueils. D’abord, le parti pris de s’abstenir de surtitres, décision défendable lorsque l’émission du texte en français est impeccable ; la mise en scène anecdotique de Dominique Pitoiset et Stephen Taylor, ensuite, qui fait l’impasse sur la dimension spirituelle du mythe, oubliant au passage ses interrogations profondes – dont la fonction de l’art n’est pas des moindres.
En fosse, c’est une nouvelle fois l’Orchestre-Atelier OstinatO qui soutient les chanteurs [lire notre chronique du 26 juin 2010], placé ici sous la direction de Geoffroy Jourdain que l’on connaît surtout en tant que chef de chœur. Malgré des cordes assez approximatives, l’interprétation sculpte une approche intéressante de la partition au relief de laquelle elle sait rendre hommage, notamment par un pertinent travail de la dynamique et une idéale coloration des bois.
BB