Chroniques

par irma foletti

Orphée et Eurydice
tragédie en musique de Christoph Willibald Gluck (version Hector Berlioz)

Opéra Grand Avignon / Opéra Confluence
- 5 décembre 2017
Fanny Gioria met en scène "Orphée et Eurydice" de Gluck en Avignon
© cédric delestrade | acm-studio

Le théâtre à l’italienne en centre-ville est à présent en cours de rénovation et de mises aux normes, pour les deux saisons à venir, au moins, et l’Opéra Confluence – celle du Rhône et de la Durance –, nouvelle structure provisoire, accueille son premier spectacle lyrique. D’une capacité maximale de neuf cent cinquante places, le nouvel espace est situé en vis-à-vis de la gare TGV, au sud de la cité. Si l’aspect extérieur évoque beaucoup plus un hangar industriel qu’un théâtre, le revêtement de bois à l’intérieur et les quelques réflecteurs du plafond permettent une acoustique de qualité, où l’on n’entend absolument pas les trains passant à 300 km/h mais, en revanche, quelques rares moteurs de voiture tout de même présents sur les moments les plus doux à l’orchestre.

Pour Orphée et Eurydice en français, dans la version révisée par Berlioz en 1859, l’Orchestre Régional Avignon-Provence, dont c’est la première prestation lyrique in loco, se montre convaincant de bout en bout, y compris dans les passages les plus virtuoses (les cordes, en particulier). La direction de Roberto Forés Veses est très rapide, parfois trop rapide, ne s’autorisant que de rares ralentissements ou alanguissements.

Le mezzo Julie Robard-Gendre est visuellement crédible en Orphée, tout de noir vêtue, pantalon de cuir, grande silhouette d’allure androgyne, cheveux noirs coupés à mi-longueur. Le timbre est chaud, riche et rond, le registre médium est vigoureusement projeté. Le grave s’avère plus discret, sans être poitriné pour autant. À l’opposé, quelques aigus sonnent de manière plus énergique, mais parfois en limite de cri. Ceci est vrai, par exemple, dans le très difficile morceau de bravoure Amour, viens rendre à mon âme, en conclusion du premier acte, où les traits d’agilité passent sans grande marge, le final a cappella étant le passage le plus brillant. L’actrice est fort expressive, les yeux et le visage ont un rôle très actif, mais le texte pourrait être chanté avec un supplément de clarté dans l’articulation. En Eurydice, le soprano Olivia Doray fait entendre une voix fruitée, à défaut de gros volume, dans une qualité de diction qui paraît supérieure. Dima Bawab (Amour), l’autre soprano, possède une voix plus verte et piquante qui peut convenir à cet emploi plus modeste.

Si l’oreille est plutôt à la fête, il n’en va pas de même pour la partie visuelle, confiée à Fanny Gioria. Une grande paroi vitrée est disposée sur toute la largeur du plateau (décor d’Hervé Cherblanc), avec l’Enfer à l’arrière où l’on peut apercevoir Eurydice dans sa robe rouge. À gauche, un échafaudage (sans grande poésie), sur lequel se tient Amour pendant la majeure partie de la représentation, un arbre à droite pour « ce bois tranquille et sombre » et quelques éléments d’intérieur : canapé et paravent défoncés, cage à oiseau, coffre renfermant un portrait et un foulard rouge que contemple Orphée. Les éléments de parois vitrées sont manipulés à vue, dans une esthétique datée. On relève quelques aberrations, comme les premières mesures du chœur des Furies, en début d’Acte II, chantées derrière les vitres, donc à peu près inaudibles, ce qui ne devrait pas effrayer Orphée outre mesure ! Les costumes d’Elsa Briand sont encore moins enthousiasmants, choristes et danseurs mélangés, tous en habits noirs, perruque noire coupe au bol, en doubles d’Orphée.

La chorégraphie d’Éric Belaud ne rattrape pas l’ensemble, insinuant une sensation de contresens ou de ridicule qui revient à intervalles – par exemple sur des moments de plainte dans la partition, où les danses relèvent plus de l’agitation et de la culture physique. Au II, les Furies, spectres, larves et autres ombres terribles ont troqué leur ensemble noir pour un costume gris, et le séjour affreux évoque davantage le vaisseau spatial de M. Spock dans la série Star Trek, pendant que les danseurs esquissent des mouvements de robot. On reste aussi circonspect à d’autres instants, lorsque les danseurs marchent en file, passent et repassent en travers de la scène… Après que l’héroïne a disparu derrière les vitres, rappelée par l’Enfer à la suite du regard d’Orphée, le tube de ce dernier, J’ai perdu mon Eurydice, d’ailleurs fort bien chanté sur le souffle, n’est pas applaudi. Chose à la fois rare et curieuse, aucun applaudissement ne part pendant toute la durée du spectacle, mais le succès public est manifeste au rideau final.

IF