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Chroniques
Orpheus oder Die wunderbare Beständigkeit der Liebe
Orphée ou La constance merveilleuse de l’amour
Figure majeure de la vie musicale d’Hambourg au siècle de Bach, Georg Philipp Telemann a enfanté une des plus prolixes productions de l'histoire, qui n'a pas oublié le genre lyrique. La Staatsoper de la cité hanséatique puise dans ce corpus un objet trilingue, adaptant l'un des mythes fondateurs de l'harmonie, Orpheus oder Die wunderbare Beständigkeit der Liebe, que René Jacobs avait déjà ressuscité à la fin des années quatre-vingt-dix, à travers un enregistrement qui avait fait date (édité par Harmonia Mundi) – une autre gravure est parue il y a quelques années. Assumant le pastiche, jusqu'à la citation, en langue originale (français et italien, en plus de l'allemand prédominant), de pages d’Händel et Lully, remises en musique par l'éclectique Telemann, l'ouvrage constitue un avatar de cosmopolitisme, dans les formes comme les tournures – sorte de construction européenne avant l'heure.
Sans doute induit par l'allure d'exercice de style qui caractérise la partition, le Lwowski Kronfoth Musiktheaterkollektiv (unissant Franziska Kronfoth et Julia Lwowski), en charge de la production, a opté pour une lecture décalée, stimulant le sens de l'humour de l'auditoire. Elle tire parti des dimensions réduites du plateau d'Opera Stabile et de la proximité que la salle occasionne entre officiants et spectateurs. C'est ainsi que la soirée commence à l'extérieur des murs où s'esquisse un cortège funèbre, après la mort d'une femme en noire qu'on devine être Eurydice. Après l'entracte, le même procédé fera entrer le public à la suite des solistes.
La sobriété des lieux autorise vraisemblablement une profusion de moyens, avec une couverture latérale de projections vidéographiques dues à Martin Mallon, où bucolique et dérision semblent faire bon ménage. Aux étagères d'albâtre où se glissent les personnages tels des momies, il ne manque que les cigares du pharaon, tandis que le vestiaire, aux relents de potache adolescent, confirme cette volonté de « déperruquer » ce qui ne relève plus de la découverte archéologique.
La modestie des moyens n'échappe pas à la fosse, réduite à huit pupitres puisés dans la formation de l'académie de la philharmonie locale (Akademisten des Philharmonischen Staatsorchesters) et dissimulés derrière les chanteurs par un rideau, pour un effet de continuo amélioré, sous la direction de Volker Krafft, lequel participa à la condensation du manuscrit avec les deux scénaristes. Si l'on y retrouve l'essentiel, l'empreinte de la conception dramaturgique domine.
S'inscrivant dans la logique de la structure, la distribution vocale est confiée à de jeunes gosiers qu'Opera stabile contribue à perfectionner. Dans le rôle-titre, Zak Kariithi démontre une appréciable promesse de plénitude et une maîtrise indéniable de ses ressources. En Euridice, Maria Chabounia n'évite pas une acidité dans la fragilité, retrouvée dans l'Orasia de Gabriele Rossmanith. Si la légèreté sied à Daniel Todd, on remarque Alex Kim, Eurymedes sensible, avant de prêter son timbre à l'Echo et l'Esprit. Marta Świderska ne démérite pas en Cephisia et Ascalax, quand Stanislas Sergeev et Bruno Vargas forme une complémentaire paire de Pluton.
Mentionnons pour finir le festival de danse qui referme la saison hambourgeoise, au moment même où Orpheus occupe l'Opera Stabile. On sait l'aura de John Neumeier, le directeur de l’Amburg Ballett, autant que son esthétique où l'intellect s'incarne dans des scénographies épurées, avide de grandes partitions du répertoire, comme l’illustre bien la Turangalîla Symphonie. En fond de plateau, Kent Nagano exalte la puissance de la fresque d’Olivier Messiaen, aux relents de rituel esquissé par la chorégraphie sans jamais renier une certaine élégance spirituelle.
GC