Chroniques

par bertrand bolognesi

Orquestra Sinfônico do Estado de São Paulo
dirigé par John Neschling, avec Nelson Freire au piano

Piano**** / Théâtre du Châtelet, Paris
- 29 mars 2007
John Neschling, patron de l'Orquestra Sinfônico do Estado de São Paulo
© dr

La seconde tournée européenne de l'Orquestra Sinfônico do Estado de São Paulo (la première eut lieu en 2003) passe par Paris. Dirigeant depuis une dizaine d'années la formation nationale où il a succédé à Eleazar de Carvalho, disparu en 1996 après avoir tenu ses musiciens durant près d'un demi-siècle, John Neschling [photo] introduit la soirée par une Abertura concertante écrite par Mozart Camargo Guarnieri (1907-1993) en 1942, un compositeur encore méconnu chez nous qui fut cependant l'un des plus importants dans le paysage musical brésilien.

De ce passionné du ferment culturel de son pays dont il s'évertua à transcender les rythmes tout en les confrontant à un art qu'il acquit auprès de Charles Kœchlin lors d'un séjour parisien, nous entendons une exécution généreusement colorée et fermement articulée de l'Ouverture précitée, s'appuyant sur la vigueur des timbales et une jouissive épaisseur des cordes graves, dans la touffeur mystérieuse des trompettes bouchées. Le chef lui offre un fin travail de dynamique et un bel équilibre pupitral.

On s'en souvient : la brochure publiée par Piano**** au printemps dernier pour annoncer l'actuelle saison indiquait que ce concert présenterait Bachianas brasileiras n°4 de Villa-Lobos, le Concerto pour piano en sol mineur op.16 n°2 de Prokofiev et les Pini di Roma de Respighi. Le Théâtre du Châtelet a contredit cette information en précisant que l'on jouerait Sensamayá de Silvestre Revueltas avant le concerto russe auquel s’enchainerait la suite de l'illustre Brésilien, tandis que d'autres sources promettaient Estancia Op.8 de Ginastera et même La mer de Debussy… Grande surprise, donc, que de trouver ici le dernier concerto de Rachmaninov et la première symphonie de Tchaïkovski !

Ainsi peut-on goûter l'élégance réservée des Rêves d'un voyageur en hiver, le premier mouvement de la Symphonie en sol mineur Op.16 n°1 de Piotr Tchaïkovski, dans une latence à la suavité retenue, profondément construite, du Pays désolé, pays brumeux, tandis qu'un Scherzo rondement mené aborde au sombre contraste du Lugubre commençant le dernier épisode, bientôt magnifié par un gentil brio conclusif.

C’est sans conteste l'interprétation du Concerto pour piano en sol mineur Op.40 n°4 de Sergueï Rachmaninov qui occupera plus durablement notre mémoire. Outre le soin particulier apporté aux échanges instrumentaux, générant un relief satisfaisant, l'approche de Nelson Freire s'avère remarquable. Il souligne discrètement la teneur ornementale de certains traits, nimbant l'aigu du Steinway comme personne, inventant un instrument dont la sonorité échappe à toute description. L'errance solistique paraît alors presque improvisée sur une mobilité somme toute raisonnable des tempi. Quant à lui, John Neschling déploie l'architecture de l'Allegro vivace initial dans un mystère qui va son cours secret. Dans le Largo central, Freire s'affirme encore plus libre, laissant poindre des réminiscences de cloches à travers une lassitude sensible. Dans une fausse nonchalance, il colore son jeu jusqu'à faire pâlir l'orchestre, tout en se tenant à une paradoxale et farouche discrétion. L'Allegro vivace est alors engagé comme un Presto infernal, articulé dans un halo luminescent où l'on décèle quelques souvenirs moussorgskiens. L'erreur consistant à dire que ce Quatrième serait, de par sa conclusion explosive, le plus optimiste des concerti de Rachmaninov, est rendue évidente par cette interprétation qui dompte la mélancolie par des sursauts artificiels, des sautes d'humeurs qui n'en soulignent que trop bien la longue et triste habitude.

Ce moment passé avec l'Orquestra Sinfônico do Estado de São Paulo se prolonge dans le bref et festif Mourão de César Guerra-Peixe (1914-1993), premier des trois bis qui compteront l'une des danses du superbe Estancia Op.8 de l'Argentin Alberto Ginastera et, pour finir, le Prelúdio de la Bachianas brasileiras d'Heitor Villa-Lobos (orchestration de 1941 de la première mouture pour piano de 1930), donné dans une pâte lyrique indicible ; bref : trois cadeaux tropicaux !

BB