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Chroniques
Oscar Strasnoy, épisode 1
Le bal, opéra d’après Irène Némirovsky
Le festival Présences offre à Oscar Strasnoy (né en 1970) deux week-ends complets – un luxe que lui envieraient beaucoup de jeunes compositeurs en ces temps de disette. Seule erreur dans ce projet de grande ampleur : la décision contestable (et inédite pour la manifestation depuis sa création) de faire payer les malheureux auditeurs de plus de vingt-huit ans. La dernière édition, consacrée au chef et compositeur finlandais Esa-Pekka Salonen, avait fait salle comble et soulevé un enthousiasme sans pareil. Cette année, le Théâtre du Châtelet semble bien vaste pour le nombre de spectateurs ayant fait l'effort de s'y déplacer.
Oscar Strasnoy n'est pas du genre à dissimuler les sources de son inspiration sous des strates conceptuelles : « ma musique se veut au service du théâtre, ce qui m’incite à la citation et à puiser dans le patrimoine populaire ». Cet élément esthétique est à replacer en regard de son parcours personnel, argentin de nationalité, naturalisé français et partageant sa vie entre Paris et Berlin. On connaissait de lui quelques pièces de musique de chambre, Le retour (El regreso) créé au Festival d'Aix-en-Provence, ainsi que le truculent et sauvage Cachafaz (inspiré par Copi), vu à l’Opéra Comique [lire notre chronique du 13 décembre 2010].
L'Orchestre National de France ouvre ce bal par de très austères et monochromes extraits symphoniques de Peter Grimes de Benjamin Britten. Les quatre Interludes marins sont prisonniers de la battue rigoureuse et métrique de la jeune cheffe Anu Tali. Ces pages d'ordinaire dramatiques et expressives semblent dénervées et à fleur de notes. La Passacaille se prête mieux à la rigueur de la conduite harmonique, mais la durée modeste de l'ouvrage ne permet pas de se faire une idée précise du travail engagé par la musicienne estonienne.
Donné en création française, l'opéra Le bal (pour six solistes) est basé sur une adaptation de Matthew Jocelyn d'un texte écrit en 1930 par Irène Némirovsky (1903-1942). La désuétude salonarde de ce théâtre de boulevard jure avec les moyens compositionnels mis en œuvre par Strasnoy. Ce décalage stylistique est continu sur toute la durée de la partition, imposant un texte à l'humour épais sur un arrière-fond sonore glacial et minimaliste. Le récit du sabotage d'une soirée mondaine par la fille rebelle d'un couple bourgeois sert d'épine dorsale à cet opéra de poche. On y retrouve tous les ressorts et ficelles des saynètes de genre mais sans l'esprit d'un Courteline ou la versatilité d'un Feydeau. La « mise en espace » ne dépasse pas la disposition scénique d'une répétition à l'italienne. La projection de dessins d'Hermenegildo Sabat pallie le manque d'éléments scéniques (décors, costumes) et fonctionne en doublon caricatural de l'action.
Conforme à certains égards à celle de son maître Luciano Berio, l'écriture de Strasnoy utilise à l'envi les prélèvements citationnels, tantôt référentiels (Mahler) tantôt vaguement imitatifs (bel canto, musique klezmer). D'une manière générale, le fil musical se rompt fréquemment et s'amuse même de cette discontinuité ludique d'une légèreté assez dilettante sur la durée.
DV