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Chroniques
Oscar Strasnoy, épisode 2
Ecos, quatorze pièces solos
Parmi les contes de tradition orale, Cendrillon est – avec Blanche-Neige, Walt Disney ne s’y est pas trompé… – l’un des plus populaires. Nous connaissons les versions fixées par Giambattista Basile (Gatta cennerentola), Charles Perrault (Cendrillon ou la petite pantoufle de verre) puis Jacob et Wilhelm Grimm (Aschenputtel) au cours des XVIe et XVIIe siècles, mais les racines de l’histoire ne sont pas seulement plus anciennes, elles sont universelles. Au IIIe siècle, par exemple, on trouve le récit de la jeune esclave grecque Rhodope dont un aigle dérobe la pantoufle pendant qu’elle se baigne et la laisse choir devant le pharaon Psammétique énamouré ; au IXe siècle, c’est la Chinoise Ye Xian qui vit une aventure similaire, tandis que la Nouvelle-Angleterre propose celle d’Oochigeas, la peau roussie à cuire des poteries ; etc. On pourrait en recenser plus de deux cents, dont un quart de versions masculines, ouvertes à d’autres us et coutumes de l’héritage patriarcal.
À l’instar d’Aperghis avec sa vision du Petit Chaperon rouge [lire notre critique du DVD] et du Petit Poucet [lire notre chronique du 14 juin 2008], Oscar Strasnoy s’intéresse à un des nombreux parcours initiatiques de jeune fille offert par le patrimoine littéraire. Au regard de ses autres créations, on y verra moins un intérêt psychanalytique – Bettelheim détaillant la chaussure-vagin de la pauvresse, Colette Dowling énonçant une peur féminine devant l’indépendante, etc. – qu’une nouvelle occasion de mettre en avant la famille comme champ de bataille. Il suffit de rappeler les résistances matrimoniales induites par la présence de l’éternel fiancé Kafka dans Hochzeitsvorbereitungen, cette noce abandonnée pour suivre le fantôme d’un ami (L’instant, 2008) ou encore la révolte des adolescents Witold (Geschichte, 2004) et Antoinette (Le bal, 2010).
« Selon moi, la tension dramatique ne naît que dans le dialogue entre le connu et l’inconnu », confie Strasnoy à l’écrivain Alberto Manguel, quelques mois après la création d’Ecos (2009) au Festival des Arcs, un cycle d’une petite demi-heure qui en semble une parfaite illustration [lire notre entretien de 2009 autour de cette œuvre]. Ici, les fragments familiers d’un texte limpide, empruntés à Perrault et Grimm, ouvrent sur la découverte d’une musique originale, comme sur l’inconnu de timbres vocaux : celui des quatorze solistes de l’Ensemble 2e2m qui se succèdent – clarinette, harpe, voix, pianiste, trompette, accordéon, alto, violon, guitare, hautbois, flûte, trompette, basson et violoncelle. Pour cet hommage aux Sequenze de Berio (chaque Eco fait une allusion de fond ou de forme à la pièce dont il s’inspire), l’instrument s’imprègne d’un sous-texte qui utilise des mots peu nombreux et souvent répétés.
Ainsi découvre-t-on une clarinette sourde puis éclatante qui brosse un paysage de neige avant l’arrivée du printemps – à la manière d’un haïku –, une harpe aux connotations féériques, un piano saccadé et nerveux comme un piétinement en sabots de bois, un trombone goguenard qui rebondit sur l’insulte « petite oie », un accordéon contrasté témoin de la transformation d’une citrouille en carrosse, un violon plaintif gouttant de larmes, une « guitare-koto » au rythme soutenu accompagnant un prince empressé, un hautbois auquel sont confiées les arabesques d’une danse, une trompette pompeuse lançant un avis de recherche, un basson qui dépeint l’étonnement sans fin des méchantes sœurs ainsi qu’un violoncelle rendant compte de leurs supplices et lamentations. Sans prétention ni sentimentalisme, Oscar Strasnoy assume de parler d’affects, ce qui n’est jamais inutile en musique.
LB