Chroniques

par david verdier

Oscar Strasnoy, épisode 5
Pierrot Lunaire par Ingrid Caven

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 15 janvier 2012
Ingrid Caven, photographiée sur le tournage de La Paloma, par Renato Berta
© renato berta

Oscar Strasnoy aime la musique populaire, faite de petits riens et sans prétention. Si Naipes (Jeu de cartes) regarde Pierrot Lunaire du côté de l'instrumentarium, c'est pour mieux faire oublier la référence au cabaret et l'expressionnisme en vigueur chez son aîné viennois. L'apparence très appliquée de l'agencement de formules minimales cède la place à une écriture en antiphonie, élégamment soulignée par l'utilisation de doubles sons aux instruments à vent. Le final propose une progression motorique désordonnée vers une pulsation jamais régulière. Les contours harmoniques fort abstraits servent de cadres à des formes minimales en train de dysfonctionner.

L'écoute de Sinfonien de Vincent Manac'h laisse, en revanche, plus circonspect sur la question de l'effet rendu des moyens mis en œuvre et de la note d'intention. À choisir, c'est vers le troisième point qu'on se tournera en priorité pour saisir l'œuvre dans toute sa dimension. Cette musique fuit le rapport traditionnel à la forme et à la citation. Sans « style » défini, on peine à y retrouver de quelconques influences directes puisque l'essentiel repose sur l'écho mémoriel de formes et de références du passé. De l'aveu même du compositeur, le projet est d'explorer « des espaces infimes ou béants qui s'articulent entre quatre musiciens, où la musique, cernée dans un réseau de fils tendus, les rapproche ou les éloigne tel un mobile sonore actionné par le vent du langage ». Cet art du peu joue sur les agrégats discrets de la flute en guise d'aeolharfe, libérant d'infimes résonances par changements d'orientation, tantôt vers le cadre du piano, tantôt vers les autres instrumentistes.

Rupture de ton et de style totale avec Gallop du compositeur japonais Mazakazu Natsuda.
Le rythme sert de noyau motivique à cette pièce de dimension assez modeste. L'engagement physique des musiciens est sollicité à chaque instant, ce qui assure un côté spectaculaire à des pages en quête d'un certain relief. On peut se contenter d'y entendre la démonstration de modes de jeux exacerbés, comme la flûte con tutta la forza ou les clusters lourds et sonores au piano… Cette mécanique de métal se termine par l'arrêt brutal de tous les instruments, laissant le pianiste piétiner très théâtralement à grands coups sur le sol.

On connaît l'enregistrement de Pierrot Lunaire sous la direction d'Arnold Schönberg en 1951. On sait également qu'il n'appréciait pas vraiment la voix d'Erika Stiedry-Wagner minaudant un Sprechgesang d'arrière boutique. Sans jouer les archéologues ou (pire) les hagiographes, il est permis de douter de l'importance et du succès de cette partition si la récitante berlinoise Albertine Zehme avait chanté en 1912 comme Ingrid Caven cent ans après – ici avec l’ensemble Zelig que dirige Oscar Strasnoy. À aucun moment, la soliste et les musiciens ne semblent suivre les mêmes routes ; malheureusement pour la musique de Schönberg et le texte d'Albert Giraud, celles-ci divergent irrémédiablement.

DV