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Chroniques
Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi
Après avoir été fermé durant de longs mois, le temps que s’achèvent des travaux de réaménagement et de mise aux normes, le Gran Teatro de Cordoue accueille à nouveau le public. Dans ce cas, trois solutions s’offrent à une maison d’opéra pour marquer le coup : programmer un ouvrage rare qui n’était jamais entré à son répertoire, donner un titre ultra connu qui demande des moyens, techniques ou vocaux, voire les deux, ou encore créer une commande passée en amont à un compositeur d’aujourd’hui. La deuxième option a été retenue, avec Otello de Verdi à l’affiche, qui conclut mon voyage d’hiver [lire nos chroniques des 10, 12 et 13 février 2019].
Il revient au compositeur et chef d’orchestre Miquel Ortega de diriger les deux représentations du chef-d’œuvre verdien, un artiste que l’on put applaudir dans des œuvres très différentes [lire nos chroniques de Roméo et Juliette, Doña Francisquita et Pan y toros] et dont la création mondiale de l’opéra La casa de Bernarda Alba, d’après le célèbre drame de Federico García Lorca, fit l’évènement à Madrid, tout récemment [lire notre chronique du 17 novembre 2018]. À la tête de l’Orquesta de Córdoba, le musicien catalan sécurise une lecture assez prudente. Écoutant pour la première fois cette fosse, il nous est difficile d’évaluer si sa qualité artistique nécessite de garantir l’exécution, parfois au détriment de l’élan dramatique – il faut dire que les pupitres sont en nombre réduit, si bien qu’on perd en puissance et en densité. En tout cas, bien que l’interprétation manque de passion, tout y est, sans déficience technique. Certains passages ont bénéficié d’un soin particulier (le duo final de l’Acte I, par exemple, et Dio mi potevi scagliar au III). Préparé par José Maria Luque Jurado, le Coro de Ópera de Córdoba assume sa charge avec vaillance, plus efficace par les voix que par la scène.
L’effort a été placé sur les choix de distribution. À l’heure actuelle, le ténor américain Gregory Kunde est le meilleur titulaire du rôle-titre, c’est indéniable [lire nos chroniques du 24 octobre 2014 et du 1er août 2015]. Quelques semaines avant de le faire à Monte-Carlo, il incarne un maure de grand format où se côtoient génialement le brio, la noblesse et la passion. La voix ne vieillit pas, ne bouge pas, toujours aussi souple, facile. Cet Otello est élégant et d’un lyrisme immédiat [lire nos chroniques de Peter Grimes, Le prophète, Norma, Roberto Devereux, Samson et Dalila, Louise et Doktor Faust]. Applaudie en 2015 à Bastille [lire notre chronique de Rusalka], on retrouve le jeune soprano russe Svetlana Aksenova en Desdemona poignante, très en voix. Une semaine après qu’on l’a entendu et apprécié à Séville dans le registre de la zarzuela, le baryton Ángel Ódena livre un bon Iago, avec un Credo qui fait frémir. Bien présente sur la scène lyrique espagnole [lire nos chroniques du 26 juillet 2014, du 25 novembre 2016 et du 18 novembre 2018], le mezzo Mireia Pintó campe une Emilia des grands soirs. Au Cassio instable de Francisco Corujo l’on préfère le Roderigo plus directionnel de Manuel de Diego. N’oublions pas Domingo Ramos, parfait en Ludovico.
Au fil d’une tournée qui l’amène de ville en ville à travers la péninsule, cette production du Teatre Principal de Palma de Maiorca a depuis longtemps quitté le berceau où elle voyait le jour au printemps 2014. Le décor de Miguel Massip situe la mise en scène d’Alfonso Romero dans l’omniprésence du bateau par lequel Othello est arrivé à Chypre : il est la métaphore scénique de l’enfermement où se trouvent les personnages, celui du complot de Iago, de la jalousie du maure, de l’amour de Desdémone, de l’innocence de Cassio. Sans révolutionner l’approche de l’œuvre, cette version ouvre des voies qu’on aura tout le temps de méditer sur le chemin de retour à Strasbourg.
KO