Chroniques

par irma foletti

Otello | Othello
opéra de Gioachino Rossini

Rossini Opera Festival / Vitrifrigo Arena, Pesaro
- 17 août 2022
Rosetta Cucchi met en scène OTELLO au Rossini Opera Festival de Pesaro
© amiati – bacciardi

C’est autour d’Emilia, la confidente de Desdemona, que Rosetta Cucchi [lire notre chronique d’Adina ovvero Il califo di Bagdad] développe son nouveau spectacle conçu pour le Rossini Opera Festival (ROF). Le personnage est en effet présent dès le début, qui observe l’action sur scène, tandis que des coupures de journaux sont projetées pendant l’Ouverture, relatant le féminicide commis par Otello – « Un nuovo femminicidio », « O mia, o di nessuno ». Puis on ôte les draps posés sur le mobilier de cette maison désormais mise en vente, et le flashback peut commencer. Les convives s’attablent lors d’une riche réception. Installés à l’écart dans deux fauteuils, Iago et Rodrigo fomentent leur vengeance à l’égard d’Otello. Les images sont belles, mais solistes et choristes un peu trop figés pour susciter le drame à venir. D’ailleurs la mise en scène n’évite pas quelques clichés, comme le diabolique Iago qui fait sniffer un rail de cocaïne à Rodrigo.

On préfère de beaucoup le deuxième acte, très resserré dans une pièce de service où l’on repasse et range le linge, les confrontations successives en duo puis en trio formant sans doute le sommet dramatique de la soirée. En particulier celui entre Otello et Rodrigo, Ah vieni, nel tuo sangue, affrontement physique autant que véritable joute vocale entre les deux principaux ténors dont chacun, dans cette réalisation visuelle, tire alternativement un coup de pistolet sur sa propre tempe, à la roulette russe.

Retour au premier décor pour l’acte conclusif, débarrassé de la foule des convives et avec cinq robes blanches sur mannequins suspendus aux cintres. Le sentiment est partagé. On apprécie la danse d’Isaura en fond de plateau pendant la chanson du saule, Assisa appiè d’un salice. Isaura, l’amie d’enfance de Desdemona, a été vue précédemment en vidéo, tuée par son compagnon, victime de violence conjugale et rappelant également les choristes féminines aux vêtements et visages tâchés de sang, alignées en travers du podium à la conclusion du II. L’absence de chambre à coucher et de lit – Desdemona s’endort assise sur une chaise, tête et bras croisés sur la table – dilue cependant la tension du dernier face-à-face avec Otello, l’épouse montant sur la table avant que ce dernier l’étrangle.

Vocalement, les moments de pur bonheur sont plutôt rares.
Le meilleur protagoniste, à notre sens, est le ténor Enea Scala dans le rôle-titre. Son instrument sonne de manière plus homogène que d’ordinaire, du grave fort bien exprimé aux aigus sonores, sans excursion vers le suraigu mais en faisant preuve de souplesse dans les passages d’agilité [lire nos chroniques de La vera costanza, Mosè in Egitto, Caterina Cornaro, La Juive, Maria Stuarda, Armida, Viva la mamma, Le duc d’Albe, Semiramide et Guillaume Tell]. En poursuivant le chapitre des ténors, pour lesquels Rossini a prévu six rôles dans son opéra, Dmitry Korchak a bien l’étendue de Rodrigo [lire notre chronique du Comte Ory]. Il claironne avec force ses aigus, mais manque plusieurs fois de fluidité dans les passages les plus fleuris. Il est pourtant bien aidé par le chef qui ralentit le tempo à l’extrême en certains endroits de sa cabalette du II, Ah come mai non senti. Antonino Siragusa tient sa place de troisième ténor, son timbre plutôt pointu et agressif correspondant idéalement à la fourberie d’Iago [lire nos chroniques de Don Pasquale, L’Italiana in Algeri, Semiramide, Pigmalione et Ermione], alors que Julian Henao Gonzalez (Lucio et Gondoliero) et Antonio Garés (Doge) complètent avantageusement la distribution. À l’autre extrémité de la portée, Evgueni Stavinsky (Elmiro) fait entendre une basse sombre et assez monolithique, mais dotée de l’autorité paternelle envers Desdemona. Côté féminin, Eleonora Buratto montre en Desdemona un soprano particulièrement puissant dans l’aigu, mais bien plus discret dans le registre grave, tandis que ses vocalises bien déroulées impressionnent peu [lire nos chroniques de La bohème, Don Giovanni, Moïse et Pharaon et Idomeneo]. Même si le spectacle s’articule autour de la figure d’Emilia, Adriana di Paola est bien moins sollicitée dans le chant, surtout volumineux.

Au pupitre, Yves Abel détaille les beautés de la partition et met beaucoup de nerf dans sa direction, mais sans toujours créer le relief dramatique en rapport avec l’énergie déployée [lire nos chroniques du Roi d’Ys, des Vêpres siciliennes et d’Il barbiere di Siviglia]. Comme la veille, on apprécie la maîtrise technique de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, entre cordes élégantes, bois virtuoses, splendide solo de harpe en introduction du grand air de Desdemona au III, jusqu’aux interventions du cor solo. Curieusement, le Coro del Teatro Ventidio Basso semble en revanche très retenu, ce soir, la modestie des décibels amenuisant sa présence sur scène pour donner davantage d’importance aux musiciens.

IF