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Chroniques
Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi
De toutes les œuvres de Verdi, Otello est celle qui se rapproche le plus du modèle qui l'a inspiré. À travers sa musique, le compositeur a conservé à ses héros leur complexité et leur humanité shakespeariennes. Cela pose des problèmes souvent difficiles à résoudre, non seulement au chef d'orchestre et aux chanteurs, mais encore – et surtout ! – au metteur en scène. Pour les surmonter, celui-ci doit savoir préserver un équilibre parfait entre l'es expressions théâtrale et musicale du drame ; dans un opéra, la deuxième est naturellement plus aisée à réaliser, les chanteurs dramatiquement doués trouvant leur première force dans l’organe vocal.
Montée en coproduction par le Teatro Regio de Parme, le grandiose spectacle voulu par le talentueux directeur John Mordler trouve dans l'écrin du Forum Grimaldi sa vraie place. Il attire la foule des grands soirs à laquelle est laissée une impression de sérieux travail collectif. Une fois n'est pas coutume : on aimerait relever en premier lieu la formidable et imposante prestation du Chœur monégasque, son impact, sa force, et saluer Kristan Missirkov qui le dirige. Dès les scènes initiales, reçues comme un uppercut en pleine poitrine, on sait que la production de John Cox va nous clouer sur place . Son « classicisme » de bon aloi, ses costumes luxueux, ses audaces réjouissantes – l'arrivé du Maure juché sur un mât à dix mètres du sol laisse le spectateur pantois et permet au chanteur de lancer, tel un javelot, le plus électrisant des Esultate –, un habile et bien réglé jeu de grand guignol chez les trois principaux protagonistes (les duos Otello/Iago font frémir et sourire à la fois) servent au mieux cette histoire de mouchoir et permettent une lecture au premier degré agréable et facile à suivre.
Vocalement, le plateau est plein de superbes ressources.
Sans l'ombre d'un effort apparent, Antonello Palombi, plus ténor que jamais, généreux, torturé, écartelé, emporté, s'améliore d'acte en acte et sort comme transfiguré de cette longue tragédie. Aucun reproche à lui faire, tant le rôle est vécu, murmuré, susurré, puis hurlé – dans le meilleur sens du terme ! –, enfin sangloté, toujours riche d'effets sincères. Le désœuvrement vengeur d'Iago, ici veule et retors à souhait, permet à Sergueï Murzaev une composition réjouissante dont il distille l'érotisme sadique tout au long de la soirée. Comme chez son supérieur hiérarchique, l'aigu est facile, l'articulation précise, passe çà et là dans l'interprétation une délicate note sourde de désespoir pour un jeu de l'amour et de la promotion militaire contrôlée aux dés pipés d'avance.
Merveilleusement belle dans les robes dessinées par Johan Engels, Barbara Frittoli, désirable à plus d'un titre, a de jolis épanchements. Son large soprano, clair, argenté, naturellement corsé, mordant parfois, domine sans peine le grand concertato du troisième acte. Dans la Chanson du saule et l'Ave Maria qui suit, l'émotion est entière et la salle pleure. Des rôles secondaires (ils sont pléthores), tous à leurs places et claironnants, nous garderons le meilleur pour la fin : à savoir, le Cassio réellement superlatif de Carlo Bosi, admirable de voix, de présence, de classe – un possible rival vocal et physique d'Otello !
En fosse, Daniele Callegari fouette et cravache sa phalange sans agitation inutile, sans jamais étouffer son plateau, dans une bonne maîtrise des « numéros » attendus et, par-dessus tout, une spectaculaire mise en place stéréophonique de la partition – pour de caniculaires nuits chypriotes à la volupté morbide, comme parfumées du sang de l'innocence.
CC