Chroniques

par bertrand bolognesi

Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi

Festival Castell Peralada / Auditori Parc del Castell
- 1er août 2015
au Festival Castell Peralada 2015, Gregory Kunde est un Otello inoubliable
© miquel gonzález

Durant leur prochaine saison, de nombreux théâtre et maisons d’opéra fêteront le tétracentenaire de William Shakespeare, disparu le 23 avril 1616. Il revient au Festival Castell Peralada d’ouvrir ces célébrations avec une nouvelle production d’Otello de Verdi, compositeur volontiers inspiré par le poète et dramaturge britannique. Outre le nom du maure, projeté sur scène en grandes lettres de feu – par-delà les protestations assez drôles du comploteur Iago qui revendique, à juste titre et dès l’installation du public dans les rangs, son statut de personnage principal du drame et cette sorte de scandale qu’il y aurait à le baptiser du nom de la dupe –, celui de l’auteur originel est bien présent, posant discrètement, dans cette sulfureuse proximité dudit Iago, l’éternelle question de sa identité réelle (James Shapiro, Contested will: who wrote Shakespeare?, Faber and Faber,‎2010).

Dès l’abord, la mise en scène de Paco Azorín désigne l’enseigne du général comme maître de cérémonie, présence savoureusement machiavélique à la tête d’une armada de nervis qui ne se contente pas de diriger la chute du héros mais prend les atours d’une équipe de production, non sans un vertige pirandellien. Passée cette surprise, le spectacle se révèle relativement « classique », traitant comme il convient son sujet dans une approche de bon aloi. La scénographie s’avère élégamment graphique, jouant sur la mobilité de deux murs et d’un escalier qui, au fil des actes, génère de nouveaux espaces avantageusement ciselés par la lumière d’Albert Faura. Quant à la vêture, conçue par Ana Garay, elle suggère l’immersion du XVIIe siècle dans celui de Verdi et ce dernier dans le nôtre, sans collision trop insistante. Dans la nuit catalane, Pedro Chamizo dessine les tempêtes, celle des cieux comme celle des cœurs. L’incise de deux sonnets de Shakespeare inscrit définitivement cette lecture dans le tourment jaloux et les délices amoureuses – c’est la bien-aimée qui donne sa lumière à l’amant dans le XLIII, quand la sagesse du CXXXVIII manque définitivement à Othello. Sous ces atours d’importance, Paco Azorín s’attache, jusqu’à signer les relations entre les alguazils du démon, à une direction d’acteurs rigoureusement menée qui trouve sainement son ressort dans le texte lui-même.

Ce soir, l’Auditori Parc del Castell offre une distribution luxueuse, telle qu’en ont rêvée bien des directeurs ! Puisqu’en montant les souterrains à la surface cette réalisation le rend encore plus omniprésent qu’il l’est dans l’œuvre, commençons par le Iago de Carlos Álvarez, proprement flamboyant. La voix est dûment noire, rehaussée d’un cuivre méphitique, le phrasé prend un essor remarquable et la morsure des mots répond à une présence scénique à la fois vipérine et redoutablement sympathique – la houppette de fantaisie, à laquelle l’on aurait certes grand tort de se fier, y contribue beaucoup. Après Vienne, Buenos Aires, Valence et Gênes, le baryton andalou signe donc une incarnation passionnante. On retrouve Gregory Kunde dans une forme littéralement explosive : nul besoin d’un temps de chauffe pour assouplir l’émission, comme c’était le cas cet automne à Turin [lire notre chronique du 24 octobre 2014] ; le ténor étatsunien s’affirme une nouvelle fois comme l’un des plus probants Otello de ces trois dernières années, avec un souffle inépuisable, une voix longue dont la couleur parfois « barytonnée » convient idéalement aux besoins du rôle. Alternant les grandes figures wagnériennes avec les héroïnes du répertoire italien, Eva-Maria Westbroek livre une Desdemona généreuse dont les moyens se jouent sans ciller des conditions de plein air – tout juste laisse-t-elle remarquer un vibrato un rien importun qui déplacerait presque la ligne de chant dans la panure puccinienne. Peu importe : le duo comme la prière nous transporte, la chaude teinte vocale du soprano dramatique faisant le reste.

À l’exclusion d’un Lodovico injustifiable dans cet aréopage-là, les seconds rôles sont honorablement assumés, de l’Emilia attachante de Mireia Pintó au Cassio bien chantant de Francisco Vas, sans oublier l’autorité de Damián del Castillo en Montano et l’excellent Roderigo de Vicenç Esteve Madrid, idéalement projeté. À la tête d’un Orquestra Simfònica del Gran Teatre del Liceu (Barcelone) qui paraît moins probant que l’an dernier [lire notre chronique du 26 juillet 2014], le chef italien Riccardo Frizza façonne une lecture à court terme, parant au plus pressé, sans profiter du flux qui caractérise cette œuvre de la maturité. En revanche, saluons avec enthousiasme la vaillante prestation des artistes du Cor del Gran Teatre del Liceu, préparés par Conxita Garcia.

BB