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Chroniques
Otello | Othello
opéra de Giuseppe Verdi
Pour la troisième année, l’Opéra d’État Hongrois (Magyar Állami Operaház) se lance dans un festival de printemps, mariant sous un thème reprises de productions à son répertoire et nouvelles créations. Après Richard Strauss, célébré en 2014 à l’occasion des cent cinquante ans de sa naissance, puis le mythe de Faust, exploré en 2015 à travers de célèbres opus signés Boito, Busoni, Gounod, Schumann, Weber, etc. (anniversaire de la première publication du Faust de Goethe), c’est le tour de William Shakespeare d’envahir la scène de Budapest. Plus encore que les précédentes éditions, Shakespeare400+ investit non seulement le charmant théâtre de Miklós Ybl mais encore le Théâtre Erkel et même l’Académie Liszt, avec plus de quinze ouvrages donnant lieu à une trentaine de représentations.
Ce riche programme fait voyager le lyricophile dans plusieurs esthétiques, avec les œuvres jouées mais aussi les mises en scènes montrées. Bien sûr, les classiques Capuleti e i Montecchi (Bellini) et Roméo et Juliette (Gounod) sont de la fête, comme Macbetto, Otello et Falstaff (Verdi) dont l’ambitieuse aventure ne saurait se priver, mais aussi quelques raretés : Die lustigen Weiber von Windsor d’Otto Nicolai, A midsummer night’s dream de Benjamin Britten, The fairy queen d’Henry Purcell, Hamlet de Sándor Szokolay, Sly d’Ermanno Wolf-Ferrari et le ballet La mégère apprivoisée de Károly Goldmark. Outre des formats moins attendus, comme un spectacle sur les femmes d’Henri VIII mêlant comédiens et musiciens dans un moment de poésie, d’airs et de songs, voire le récital shakespearien du baryton gallois Bryn Terfel, trois premières hongroises marquent l’événement : West Side Story de Leonard Bernstein, Lear d’Aribert Reimann et The Tempest de Thomas Adès.
Vouloir rendre compte de l’admirable effervescence avec laquelle la capitale hongroise, jusqu’au delà du seul domaine de l’opéra (les colonnes Morris révèlent à quel point le théâtre dramatique est engagé dans l’affaire), rend hommage au dramaturge britannique mort il y a quatre cent ans, nécessiterait qu’on y demeure plus de deux semaines, ce qui est difficilement envisageable. Il fallut donc faire des choix. Notre court séjour s’ouvre par la reprise du nouvel Otello confié à Stefano Poda en septembre dernier. Ainsi retrouve-t-on le goût de l’artiste italien pour la métaphore [lire notre entretien], à travers un dispositif giratoire où yin et yang s’épousent à l’infini, dans un climat de ténèbres. Le peu de lumière de cette production à juste titre oppressante vient toujours du sol, à l’inverse du monde comme il est, pour ainsi dire : c’est que le complot vengeur d’Iago inverse les valeurs, instrumentalise jusqu’à l’amour pour accomplir le mal, abolit même le ciel d’où pourrait survenir quelque espoir.
Pour en comprendre le principe et en goûter l’esprit, cet Otello, qui délègue à la fosse le soin de couleurs dont radicalement il épure le plateau, semble toutefois ne pas atteindre le niveau de l’Ariodante récemment apprécié à Lausanne [lire notre chronique du 15 avril 2016]. Qu’à cela ne tienne : la tension tragique est omniprésente, un haletant suspens va grandissant, à partir du monde guerrier et des dépouilles cadavériques qu’à quai charrient les vainqueurs et d’un seul vrai moment de concorde, dans la chambre nuptiale, forêt de mains s’épanouissant comme des fleurs dans une mystérieuse nitescence, à l’opposé des bras rouge-sang qui délimitent l’espace. Pour finir, le Maure ne semble pas si fermement déterminé au crime, lié à un érotisme trouble, quand le félon manipulateur paraît lui-même jouet d’autres forces, secrètes.
La prestation vocale compte plusieurs éminents gosiers, dont ceux du Chœur maison (Magyar Állami Operaház Énekkara) et de sa Maîtrise d’enfants, particulièrement probante. On retrouve le robuste Ferenc Cserhalmi en Lodovico bien campé [lire notre chronique du 24 mai 2015], le timbre très généreux d’Andrea Rost en Desdemona plus puissante que jamais, presque sous-distribuée même [lire notre chronique du 31 mai 2015], et l’onctuosité bénie de Judit Németh, idéale en Emilia [lire nos chroniques du 4 novembre 2015, des 12 et 13 juin 2014 et du 1er juin 2010]. Si l’Iago de Mihály Kálmándi convainc moins, félicitons le chant très pur de Gergely Boncsér dans le rôle de Cassio. Enfin, en belcantiste convaincu le ténor mexicain Rafael Rojas livre un vaillant Otello qui oublie un peu le style (abus de portamento, effets parlando et larmoyants coups de glotte, etc.), jusqu’à s’avérer plus puccinien que verdien.
Indéniablement les musiciens du Magyar Állami Operaház Zenekara (Orchestre de l’Opéra d’État Hongrois) ne dérogent pas à leur réputation : la qualité de chaque pupitre satisfait pleinement, contrairement à la lecture lourde du jeune Gergely Madaras (trente-deux ans), en poste à Dijon, qui par ailleurs s’était positivement illustré à Genève [lire notre chronique du 28 décembre 2015].
BB