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Chroniques
Ottone, re di Germania | Otton, roi de Germanie
opéra de Georg Friedrich Händel
Second opéra à l’affiche de l’Internationale Händel Festspielede Karlsruhe, Ottone, re di Germania est un ouvrage très rarement donné, même s’il en existe plusieurs enregistrements. La représentation à laquelle nous avons assistée est une réussite complète, en premier lieu la mise en scène de Carlos Wagner [lire nos chroniques d’Eine florentinische Tragödie, The Rake’s Progress, Los sobrinos del capitán Grant, The rape of Lucretia, Lotario, Le duc d’Albe et Angels in America], dans les décors majestueux et les élégants costumes de Christophe Ouvrard [lire nos chroniques d’Iolanta et de Die Zauberflöte]. Au lever du rideau, on découvre l’imposante façade grise d’un palais décati, des volées d’escaliers sur les côtés menant à des paliers soutenus par des étais de notre siècle. En surface des parois, l’enduit se craquèle, ainsi que sur les visages des personnages de Gismonda et Adelberto, qu’on peut imaginer comme des statues blanches et grises qui auraient pris vie.
Une partie centrale du mur se lève en première partie pour laisser place à des projections vidéos de mer agitée. Ce procédé est cependant utilisé avec parcimonie et se marie bien avec l’économie de mouvement des six protagonistes, un jeu naturel, fluide et d’une grande densité. Teofane repose d’abord dans un lit, sur la plate-forme à mi-hauteur, les silhouettes des chanteurs se découpant comme de jolies ombres chinoises, par la suite, sur le fond de film en noir et blanc, à leur arrivée sur ce belvédère. En seconde partie, un tout autre dispositif est employé, celui d’une tournette qui montre l’envers du décor, à savoir une épave de bateau, des planches enchevêtrées et débris de décors.
En tête de distribution, le contre-ténor Yuriy Mynenko assure avec panache le long et difficile rôle-titre. Sa voix se fait miel lorsqu’il songe, au premier acte, à sa bien-aimée Teofane au cours de l’air Ritorna, o dolce amore, mais il montre également une agilité de qualité dans les passages rapides, puisant au besoin dans sa voix de poitrine pour les notes les plus graves [lire nos chroniques de Rinaldo, Sonnets, Ariodante, Rouslan et Lioudmila, La fille de neige et La clemenza di Tito]. Disposant d’une puissance supérieure, l’autre contre-ténor, Raffaele Pe, fait entrer Adelberto en scène avec une ligne vocale très élégiaque, Bel labbro, formato, lui aussi amoureux de la belle Teofane. On apprécie ses variations très ornementées introduites dans les reprises de cet air, ainsi que ses capacités de vocalisation, plus tard [lire nos chroniques de Didone abbandonata, Ipermestra, Orfeo et Hémon]. En troupe au Badisches Staatstheater de Karlsruhe, la basse française Nathanaël Tavernier possède lui aussi de beaux atouts, mettant à disposition d’Emireno souplesse vocale et fermeté de projection [lire nos chroniques de Cenerentola et de Salome].
Côté féminin, le soprano Lucía Martín-Cartón compose une charmante Teofane, à la ligne aérienne et très précise d’intonation [lire nos chroniques de Los elementos et d’Il palazzo incantato]. On connaît le mezzo Lena Belkina pour l’avoir déjà entendue au Rossini Opera Festival de Pesaro, entre autres [lire nos chroniques d’Eugène Onéguine, Le barbier de Séville, La donna del lago, La pucelle d’Orléans, Guerre et paix et Anna Bolena] ; les passages d’agilité sont, en conséquence, passés avec maîtrise. Elle endosse les habits de l’intrigante Gismonda et n’hésite pas, par moments, à enlaidir le timbre, spécialement dans la partie grave, pour en faire ressortir davantage de méchanceté (Trema, tiranno, encor). Même diabolique, elle émeut fortement au cours de l’air plein de compassion pour son fils Adelberto, Vieni, o figlio. On connaît aussi Sonia Prina, dont la tessiture se situe entre mezzo et contralto, avec un timbre noir et profond qui donne fière allure au personnage de Matilda. Son chant au fort caractère produit son effet, mais les quelque vocalises-mitraillettes, parfois un peu à court de souffle dans le développement de certaines phrases, font moins bonne impression [lire nos chroniques de Farnace, Davide, Orlando finto pazzo, La pietra del paragone, Alcina, Rinaldo, Partenope, Catone in Utica, Giulio Cesare in Egitto, La grotta di Trofonio, Falstaff et Dorilla in Tempe].
On retrouve avec bonheur les Deutsche Händel-Solisten, en aussi bonne forme que l’avant-veille dans Hercules [lire notre chronique]. Sous la direction musicale pleine de ressort de Carlo Ipata, les cordes mettent du mordant dans les attaques et les quatre bois – deux hautbois et deux bassons – sont aussi vifs que gracieux. Un très beau spectacle, qui sera repris lors de la prochaine édition du festival, programmée du 16 février au 4 mars 2024.
IF