Chroniques

par laurent bergnach

Out at S.E.A (Someone Eats All)
opéra de chambre collectif supervisé par Péter Eötvös

ManiFeste / Le Centquatre, Paris
- 9 juillet 2014
Out at S.E.A, opéra de chambre supervisé par Péter Eötvös
© hrotkó bálint

« Voir si c’est faisable, si ça fonctionne » annonce Péter Eötvös en préambule d’Out at S.E.A (Someone Eat All), une tentative d’écrire à trois têtes un opéra de chambre, selon le modèle du « cadavre exquis », mais aussi prétexte à confronter les novices à tout ce qui entoure la création elle-même (production, répétitions, tournée, etc.). C’est en tout cas le souhait du géniteur de l’époustouflant Der goldene Drache [lire notre chronique du 4 juillet 2014] qui, depuis 1991, possède sa propre fondation destinée à encourager jeunes chefs et compositeurs en début de carrière.

En amont du spectacle créé à Budapest le 19 décembre dernier, quatre jours d’atelier avec trente-sept compositeurs sélectionnés ont permis d’analyser les éléments en présence : un trio (violoncelle, clarinette et alto) et le texte du dessinateur et dramaturge Sławomir Mrożek (1930-2013), En pleine mer (Na pełnym morzu), contant les mésaventures allégoriques de trois affamés sur un radeau. Les candidats ont ensuite présenté quelques esquisses, lesquelles ont servi à retenir les plus intéressants d’entre eux, de manière à constituer deux équipes de trois compositeurs, dans un souci d’équilibre. Chacun d’eux a profité d’un trimestre pour écrire un seul rôle, en anglais, sans avoir besoin de songer aux deux autres, pris en charge par ses camarades.

Mise en scène par András Almási-Tóth (également librettiste du projet) sous l’igloo d’une structure de bois, la même histoire se retrouve de part et d’autre de l’entracte – laquelle a échappé au public non-anglophone qui n’a pas droit à des sous-titres français, à l’instar de celui du ciné-concert L’Aurore, en début de festival [lire notre chronique du 11 juin 2014]. La musique fait donc toute la différence, qui rappelle les possibilités infinies de marier les notes aux mots et invite Eötvös à parler d’un spectacle plus naïf dans le premier cas, plus complexe dans le second.

Christian Flury (né en 1979) et Mariana Ungureanu (née en 1974) ont écrit pour le ténor Zoltán Megyesi (Fat), d’abord contraint à une vaillance monolithique aux nombreux tiraillements avant d’être plus effacé [lire notre chronique budapestoise du 1er juin 2010]. Diana Soh (née en 1984) et Samu Gryllus (né en 1976) ont composé pour Szilvia Vörös (Medium), mezzo dont la couleur et l’expressivité la destinent naturellement à des ouvrages tels Elektra [lire notre chronique budapestoise du 11 juin 2014], et qui ne souffre pas trop des modulations haletantes qu’on lui réserve d’emblée. Enfin, Máté Gergely Balogh (né en 1990) et Koka Nikoladze (né en 1974) ont écrit pour Maurice Lenhard (Thin). D’un baryton sain et tendre (passage en falsetto de l’émouvant « no, no, not me »), le chanteur quitte l’aura de Lied initiale pour livrer chuintements, sifflantes et bégaiements des plus maitrisés. Son talent d’acteur en couronne l’effet comique, à la manière d’une Berberian.

Aérée, discrète et parfois sentimentale (un solo d’alto sur l’évocation de la mère de Thin, un autre de violoncelle sur celle de la liberté véritable opposée à la liberté ordinaire), la partie instrumentale qui ouvre le spectacle semble plus scolaire que la seconde. En effet, cette dernière ose incorporer des frottements de polystyrène, des bruits de journal déchiré et froissé, un violon-mandoline gratté par Fat ainsi qu’un duo entre la clarinette et la paire de ciseaux tenue par Medium. Jouxtant les chanteurs, Ditta Rochmann, Horia Dumitrache, Péter Bársony et la cheffe Lin Liao, font particulièrement corps avec eux.

LB