Chroniques

par bertrand bolognesi

Péter Csaba, Jean-François Heisser et le Quatuor Ysaÿe
Chausson, Bartók et Beethoven

Théâtre de la Ville, Paris
- 3 mars 2003

Absorbé par son activité de pédagogue au CNSM de Lyon, passionné par la direction d'orchestre qui est devenue, ces derniers temps, sa principale activité, Péter Csaba s'est fait de plus en plus rare en tant que violoniste. Le concert de ce soir permet de retrouver un grand soliste, un musicien hors pair, ici fort bien entouré.

C'est le farouche Quatuor en fa mineur Op.95 n°11 qui ouvre la soirée. En 1810 tombe à l'eau le projet de mariage de Ludwig van Beethoven avec Teresa Malfatti. S'ensuit une dépression violente. Avec elle, le compositeur se rend compte qu'il ne peut guère attendre compréhension et aide de la part de ses amis et parents. La rencontre avec l'amie de Goethe (à cette époque, le génie de Weimar est très important pour lui qui vient d'achever Egmont ainsi que les Lieder Op.83 et Op.75), l'effervescente Bettina Brentano, sœur du poète Clemens, amie de Caroline von Günderode, vient sortir le Maître de son découragement. La chose ne se fait pas du jour au lendemain : il vit des heures de profond désespoir, suivies de crises d'enthousiasme surexcitées, en général peu durables. Cette alternance d'humeurs le plonge dans un indicible épuisement nerveux.

Ce contexte détermine le ton de son Opus 95. La lecture qu’en donne aujourd’hui le Quatuor Ysaÿe s’avère tendue, serrée, « stressée », pour ainsi dire. Certains traits s’y font cris. Le lyrisme se trouve toujours mort avant terme. C'est peut-être l'expression la plus proche qui soit de ces pages parfois chaotiques. On décèle une sensibilité vive qui fait sienne les tourments de Beethoven. La sonorité est d'une austère âpreté. L'alto n'hésite pas à grincer des dents. On remarque cependant un souci de justesse au premier violon, sur les toutes premières mesures. En revanche, l’auditeur demeure pantois face aux attaques à la fois mordantes et feutrées que décline admirablement François Salque au violoncelle, notamment au tout début du deuxième épisode, Allegretto ma non troppo. Dans l'ensemble, cette version possède la violence et l'intériorité requises, accusant des contrastes d'une rudesse glaçante.

On retrouve ensuite Péter Csaba dans la Sonate Sz.76 de Béla Bartók.
Avec elle, le compositeur renoue en 1922 avec les procédés de la tradition tzigane. Les deux mouvements, indiqués Molto moderato et Allegretto, sont en fait les Lassù et Friss de la musique transylvaine, présents dans de nombreuses pièces du Hongrois. Les interprètes s'ingénient à en montrer le caractère. Très justement, le piano de Jean-François Heisser est plutôt debussyste. La palette expressive du violoniste est des plus étendues et joue sur d'infimes nuances d'une grande subtilité. Inquiétante, la dernière note est comme voilée, sans fin.

Le Concert pour piano, violon et quatuor à cordes en ré majeur Op.21 d’Ernest Chausson réunit les six musiciens pour une interprétation généreusement lyrique, d'un romantisme échevelé. Le troisième mouvement, indiqué Grave, gagne ici une désolation infinie.

BB