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Chroniques
Pan
opéra de Marc Monnet
On pourrait presque parler d'affinités électives entre Marc Monnet et le public strasbourgeois. Après Probe en 89, Fragments en 93, voici un nouvel opéra créé à Musica. Trois années de travail ont conduit le compositeur à Pan, un ouvrage où on ne trouve « pas d'histoire mais beaucoup d'histoires », avec une forme neuve, libérée de la narration, qui réponde à une envie de poésie, de beauté et de violence verbale. Dans cette logique de rupture – qui n'est pas nouvelle, puisqu'il y a vingt ans déjà, Monnet voyait l'opéra contemporain comme un leurre –, une demande de livret à un écrivain aurait été saugrenue. C'est donc dans un texte de Christophe Tarkos (1964-2004), trouvé par hasard en librairie, qu'il est venu piocher ces mots qui reviennent sous différentes formes durant tout le spectacle. De même, dans sa fuite du sens unique, Monnet a fait appel à Pascal Rambert, metteur en scène qui – comme il l'avouait au cours d'une conférence de presse, à la veille de cette première – trouve « assommant de créer de la représentation au kilomètre » et préfère « accorder à celui qui regarde le maximum de place ».
Cerné par les murs nus du théâtre, le Chœur de l'Opéra national du Rhin (impeccable durant ses cinquante minutes de chant) entre sur scène, bientôt rejoint par l'équipe du Side One Posthume Théâtre, la compagnie de Rambert. Tous sont en vêtements de ville. Un des acteurs-danseurs-performeurs (et mêmegesticulateurs, selon Monnet) avance face au public, puis fait demi-tour. PAN, lit-on sur son tee-shirt tendu sur des épaules musculeuses qu'il va aussitôt dénuder. Au même instant, un partenaire cambré se laisse tomber bruyamment sur le dos, donnant le coup d'envoi à Pierre-André Valade, en fosse avec l'Orchestre Symphonique de Mulhouse. Durant une heure et quart, les artistes occupent l'espace avec leur corps en mouvement, frôlant leurs visages, simulant des orgies ou des meurtres, installant un écran de projection et des silhouettes blanches découpées (en partie en direct) dans du polystyrène. Elles sont ombres portées quand ces mêmes corps s'immobilisent, mais aussi arbres, barrières, buissons, tireurs, cheval, ou encore mots – JE VOIS, IMAGINAIRE, etc. TOUT ÉGAL PAN nous ramène inévitablement au Tout est Dada inventé un siècle plus tôt, signalant notre présence dans un univers parallèle, à la Lewis Carroll.
À une partition en plusieurs strates volontairement brève pour être efficace, soucieux de densité et d'articulation, Marc Monnet a voulu associer une certaine souplesse – telles ces improvisations du guitariste Marc Ducret. Le piano est percussif (Takayuki Ezawa), les cuivres tempétueux, auxquels succèdent parfois une boîte à musique, un orgue, ou la voix off du compositeur. Avouons-le, on reste perplexe quant à certaines propositions sonores. Que la musique illustre platement les allusions mécaniques du texte (moteur, train, etc.) d'un mouvement perpétuel est une chose. Qu'on ne comprenne rien de ce qui est chanté en est une autre. Sans surtitrage, impossible de saisir ce que racontent les excellentes Malia Bendi Merad et Nicole Tibbels – soprani à la frontière du colorature et de l'hystérie – ou le chœur survolté qui aurait pu aussi bien débiter des onomatopées, vu le tempo choisi.
Au final, la perplexité conduit à la consternation. Un théâtre nous met en garde contre certains débordements du texte et on sourit de ces « bourre-lui le cul » bien innocents. Un metteur en scène se vante de détester la surcharge, et nous voilà étouffés par le pire fatras d'un Ruy Blas d'avant-guerre. Enfin, un compositeur dont on connaît le goût pour les pied-de-nez de langage – Patatras, Bibilolo, Wa-wa... – s'offre le jeu de mots qui tue avec deux paons – blancs, ma chère ! – à l'avant-scène. Le satyre peint au plafond de la salle pense-t-il comme nous ? Pan : beaucoup de bruit pour un pétard mouillé.
LB