Chroniques

par bertrand bolognesi

Pan y toros | Du pain et des jeux
zarzuela de Francisco Asenjo Barbieri

Opéra de Lausanne (saison hors les murs), Salle Métropole
- 19 avril 2009
© marc vanappelghem | opéra de lausanne

Il semble qu’un vent de zarzuela souffle sur l’Europe lyrique. Après la reprise de Doña Francisquita d’Amadeo Vives au Capitole [lire notre chronique du 30 juin 2007], une nouvelle production de La Generala – Vives encore – au Théâtre du Châtelet [lire notre chronique du 29 mai 2008], ce n’est pas un ouvrage que le public peut découvrir en dehors du territoire communément dévolu à ce répertoire, cette saison-ci, mais bel et bien deux, puisque Nancy réalisait récemment Los sobrinos del Capitán Grant de Manuel Fernández Caballero [lire notre chronique du 5 février 2009] et que l’Opéra de Lausanne présente aujourd’hui Pan y Toros de Francisco Asenjo Barbieri.

Peut-être s’étonnera-t-on moins d’une telle programmation lorsqu’on aura rappelé qu’Eric Vigié, l’actuel directeur de l’institution vaudoise qui vient de renouveler son contrat jusqu’en 2013, collabora, il y a quelques années, avec le Teatro Nacional de la Zarzuela, à Madrid (où il fut longtemps en poste au Teatro Real), mettant alors en scène une œuvre de José Melchior Gomis. De même paraîtra-t-il naturel que ces représentations soient coproduites avec le Teatro Municipal de Santiago de Chile auquel il se lia autrefois en y signant une mise en scène de Die Zauberflöte, ainsi qu’avec le prestigieux Festival de Zarzuela d’Oviedo.

Lorsqu’on aura dit qu’Emilio Sagi – remarqué par le public des coteaux lémaniques il y a tout juste un an pour son Giulio Cesare in Egitto de Händel [lire notre chronique du 18 avril 2008], et auquel on doit, précisément, les mises en scène de La Generala et de Doña Francisquita que évoquées plus haut – dirigea neuf années durant le Teatro Nacional de la Zarzuela où commençait jadis en tant que chef de chant le Catalan Miquel Ortega (la Doña Francisquita de Toulouse, encore), au pupitre cet après-midi, le lecteur comprendra qu’une équipe éclairée se trouve ici réunie.

« Du pain et des taureaux », voilà la panacée imaginée par le Corregidor Quiñones pour calmer la rumeur de défaite qui agite le peuple madrilène, ce qui lui vaudra le compliment de grand politicien de la part de l’intrigante Pepita – de fait, c’est la vertu principale des divertissements, qu’on les appelle jeux romains si l’on songe à l’Antiquité ou, de nos jours, compétitions sportives abondamment retransmises sur les petits écrans, faits divers et crimes sanglants commentés dans les kiosques et les journaux télévisés, et, pis encore, bruyantes parades de nos dirigeants, complaisamment relayées par la majorité des médias qui préfère parler alcôves et chiffons plutôt que d’aborder le fait politique.

D’emblée, le sujet s’affirme historique, mêlant la réalité à la fiction en convoquant de grands personnages à côtoyer des créatures issues de l’imagination de José Picón, le librettiste. Ainsi de Francisco Goya, rôle de discrètes proportions écrit pour un baryton-basse, dont la la peinture est rendue omniprésente par la scénographie tant en dressant son terrible Saturno devorando a sus hijos en menace permanente qu’en organisant les ensembles comme autant de processions et rondes obscures (on songe parfois à El Aquelarra), certaines scènes s’accomplissant dans l’ocre bleu particulier à cette palette (le crime du début de l’Acte II, dans le trouble Riña a garrotazos). Enrique Bordolini éclaire savamment les décors qu’il a lui-même conçu, la costumière Imme Möller répond fidèlement à l’option esthétique. Une réalisation efficace à la dynamique relativement classique qui sait révéler la richesse expressive de Pan y toros dont les ensembles vocaux surprennent par leur nombre, leur écriture détaillée et inventive, leur fantaisie.

Brillent là beaucoup d’artistes (une quinzaine de rôles), chacun distribué idéalement. Indéniablement, les deux féminins brûlent la rampe : Mariola Cantarero et Mariselle Martinez, respectivement Doña Pepita et la Princesa de Luzán, mènent le jeu, leur prestation tant musicale que théâtrale dynamisant l’action. Le Peñaranda de Federico Gallar se construit sur un grave solide et un aigu corsé, le timbre clair et le phrasé élégant de Pablo Cameselle servent parfaitement le curé Abate, Miguel Sola prête une noble couleur vocale à Goya, Rubén Amoretti offre au General l’autorité d’une basse généreuse, tandis que Luis Álvarez campe le redoutable Quiñones. Les rôles secondaires ne sont pas en reste, qu’ils soient honorés par Carlos Henriquez (Jovellanos), Javier Ferrer (Pepe-Hillo), Lorenzo Moncloa (Santero), Jorge Rodríguez Norton (Costillares) ou Julio Cendal (Romero).

Voilà un spectacle réussi et hautement recommandable, bien que donné dans une orchestration réduite qu’on aurait pu penser mal assortie à ces effets grandiloquents auxquels a volontiers recours la partition. Les musiciens de l’Orchestre de Chambre de Lausanne avancent sous la baguette de Miquel Ortega, soutenant les interventions brèves et soigneusement réglées des danseurs de la compagnie Nuria Castejón.

BB