Chroniques

par bertrand bolognesi

Parsifal
bühnenweihfestspiel de Richard Wagner (version de concert)

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 14 avril 2011
gravure de Vilmos Pogány pour illustrer Parsifal de Wagner
© vilmos pogány

À l’heure où les Passions s’affichent dans les salles et les temples, l’avenue Montaigne accueille l’équipe munichoise pour Parsifal, le testament wagnérien à traditionnellement connaître l’honneur des théâtres allemands au temps de Pâques. Aussi, quel Parsifal !

À la tête de l’Orchestre de la Bayerishe Staatsoper, Kent Nagano, son actuel chef titulaire, signe une interprétation conjuguant une gravité ténue à un incroyable élan lyrique, sans sombrer jamais, quoiqu’arborant des tempi parfois relativement lents, dans une solennité trop appuyée. De la formation bavaroise, on goûte des cuivres imperturbables, quelle que soit la nuance, un pupitre de bois divinement coloré, magnifiant par une unité sans pareille des cordes qui, elles, demeurent son élément le moins probant. Rien de conventionnel dans cette exécution, du recueillement du Vorspiel de l’Acte I à la fougueuse énergie du II jusqu’au passionnant cataclysme qui précèdera l’enchantement du III. Quoique se passant largement de mise en scène, l’ouvrage n’est guère facile à jouer au concert, ayant été conçu pour Bayreuth dont la fosse se trouve enfouie. Comment, dès lors, équilibrer la symphonie et le récit vocal ? À fréquenter le National Theater de Munich, il semble bien que sa redoutable ouverture de fosse ait fourni à maestro Nagano une excellente école en matière de dosage. Car, mis à part quelques débordements, somme toute enthousiastes, au III, le chef californien sert magnifiquement la partition sans pour autant mettre à mal les chanteurs – un tour de force, assurément.

Et quels chanteurs ! Rêvera-t-on distribution plus idéale ?
À l’écrasante autorité du Gurnemanz de Kwangchul Youn, qui conte l’histoire de Klingsor avec une exemplaire expressivité, répond l’art consommé de la nuance de Michael Volle en Amfortas comme la robustesse de timbre de Steven Humes en Titurel. Avec des sonorités fauves qui toujours semblent sous-entendre un mauvais coup, un petit sourire acide dans la couleur, John Wegner donne un Klingsor d’une redoutable intelligence dont la glaciale passion fait frémir. Parmi les rôles secondaires, l’on remarque avantageusement des Filles-fleurs constituant un sextuor soigneusement choisi où brillent plus particulièrement, quoiqu’en ne mettant jamais en péril l’unité de l’ensemble, le chaleureux mezzo-soprano de Tara Erraught et Laura Tatulescu, flamboyant soprano. De même la fermeté de l’émission du Second chevalier, Levente Molnár, demeure-t-elle en oreille bien longtemps.

Assurément, le couple contrarié Kundry-Parsifal fait figure de vedette de la soirée. Dans le rôle de la sauvage, tentatrice et guérisseuse, on retrouve Angela Denoke, imposant une teinte sombre qui surprend autant qu’elle convainc. Plus impacté dans le grave que l’auraient laissé supposer ses Lulu et Katia, par exemple, c’est la Marie de Wozzeck que l’on entend ici, convoquant le cri ventral comme l’onctuosité la plus hypnotique (Acte II, le nom du héros) dans une incarnation qui dépasse largement le cadre de la version dite « de concert ». Et surtout, l’on découvre le Parsifal de Nikolaï Schukoff dont le chant s’avère précisément chargé d’intention autant que prudemment conduit dans les premiers moments – c’est qu’aussi les entractes sont moins copieux ce soir qu’en représentation scénique, surtout entre les II et III. Le timbre séduit d’emblée par sa clarté et la générosité de l’impact (I), puis profite de riches harmoniques graves qui attendrissent remarquablement le souvenir de la mère (II), l’instant fébrile où, adroitement aveuglé par la perte d’Herzeleide, l’homme pourrait glisser dans un giron de luxure, rebondissant d’autant plus fermement dans la conscience thaumaturge qui guérira les blessures du pécheur Amfortas d’une voix livrée comme aucune. Si la dynamique de ce chant est vaillante et nuancée et décline de surprenantes fulgurances comme d’indicibles legatos, c’est l’investissement total de l’artiste que l’on salue, habitant entièrement le texte, le rôle, la musique ; un et indivisible.

Dans ce Parsifal, tout paraît simple comme c’est rarement le cas, ce que ne contredit pas la prestation du Chœur de la Staatsoper de Munich, de très haute tenue. Ainsi, la confuse mystique wagnérienne se sera vue éclairée de précieux moments de grâce.

BB