Chroniques

par bertrand bolognesi

Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner

Grand Théâtre, Genève
- 28 mars 2004
Petra Lang est Kundry à Genève (Parsifal, bühnenweihfestspiel de Richard Wagner)
© gtg | nicolas lieber

De nombreux spécialistes se sont complus à dénombrer les multiples sources du poème que Wagner écrivit pour son ultime ouvrage, le Bühnenweihfestspiel créé à Bayreuth l’année précédant la lugubre gondole qui devait emporter le maître loin du monde. Roland Aeschlimann ne l’a pas oublié, et s’est bien gardé de limiter sa mise en scène au seul univers chrétien. Le Graal qu’il choisit d’évoquer n’est que mystère, l’énergie divine par laquelle Monsalvat perdure et prospère... lorsque tout va bien.

Amfortas est atteint d’un mal humain rien qu’humain, plaie vénérienne contractée avec la magicienne Kundry. C’est cette faute qui lui fait perdre la lance, guide dont s’empare Klingsor, et c’est ce désir-là et la chute qu’il peut entraîner que l’innocent Parsifal ressent lui aussi lorsque ladite Kundry tâche de le séduire. Parce qu’il n’est pas tenté, parce que sa pureté ne saurait l’être, la compassion dépassant son ego, il retrouvera Monsalvat au troisième acte pour, de l’emprise de Klingsor, libérer le pécheur, rétablissant enfin le mystère de Graal et ses bienfaits.

Dans la lecture proposée à Genève, la figure de Parsifal n’est pas christique. Le travail d’Aeschlimann la porte plus loin, en appelant à une spiritualité moins définie quoique largement inspirée de l’orient. Pour esthétique et raffinée que soit sa réalisation, elle n’évolue jamais parallèlement au vif du sujet, mais toujours dans le sujet. Si l’on pense parfois aux lumières sophistiquées et aux déplacements stylisés des productions de Bob Wilson, on est loin de leur inévitable éloge de la lenteur pour elle-même. La mobilité des éclairages comme des éléments de l’espace scénique est rigoureusement soumise aux aléas de la partition. Calcul ou instinct, peu importe, le résultat est saisissant. Le troisième acte atteint l’évidence et le premier se fait littéralement hypnotique. Seul l’acte médian convainc peu : bien que la rupture d’un monde à l’autre soit plutôt réussie, l’on ne croit guère au pouvoir véritable d’un Klingsor de pacotille et l’on déplore un relâchement de l’imagination.

Protégés des regards peut-être impurs du public par un fin voile qui contribue à nimber la scène d’un bleu idéal et fascinant, les rôles bénéficient d’une distribution intelligemment choisie. Si Günter von Kannen est un Klingsor puissamment sonore, la voix est quelque peu fatiguée, livrant un vibrato sans frontières ; le personnage s’en accommode, et même s’en sert, bien sûr, mais elle contribue au peu de crédit que l’on accorde à son pouvoir. Le Gurnemanz d’Alfred Reiter offre un timbre d’une clarté exceptionnelle, presque angoissante, des phrases toujours bien menées, dont chaque mot semble avoir fait l’objet d’une réflexion personnelle. Le Titurel majestueux de Duccio Dal Monte, pour moins excitant qu’il soit, est irréprochable.

Petra Lang campe une Kundry attachante, d’un timbre vaillant, toujours savamment nuancé, se gardant d’entrer dans la convention de volontaire laideur vocale souvent rencontrée, sans y perdre quelque expressivité que ce soit. Le rôle-titre est avantageusement tenu par Robert Gambill qui compose un innocent plus vrai que nature, toujours d’une belle présence scénique, accusant toutefois des aigus appuyés qui masquent la nature même du timbre.

Enfin, le baryton danois Bo Skovhus donne un Amfortas de très grande classe, usant du cuivre de ses aigus comme de la souplesse de son organe, osant n’entrer jamais dans le vibrato de la note, au risque de donner l’impression qu’elle soit un peu basse, pour mieux exprimer le texte lui-même, avec une sensibilité bouleversante. Emouvante et intelligente, sa Cène est à pleurer : il est un Amfortas exceptionnel.

En fosse, poursuivant une approche sans cesse renouvelée au fil des années, Armin Jordan propose une lecture d’une finesse inégalée, presque chambriste, construisant le son de l’orchestre à partir du pianissimo plutôt que de sculpter dans la masse, crochetant une délicate dentelle toujours à l’écoute du plateau auquel elle autorise un chant plus léger, proche parfois du Lied (en particulier Alfred Reiter et Bo Skovhus). Du coup, les forte arrivent comme de très loin, sans jamais alourdir l’œuvre. Il signe une version désignant Parsifal comme premier opéra Jugendstill.

BB