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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
Ce Parsifal si décrié, œuvre de l’agitateur Christoph Schlingensief, se voit offrir une nouvelle chance auprès du public du festival le plus couru du monde. L’histoire de ce spectacle est désormais fort connue. Monté, pour fêter le retour de Pierre Boulez dans la fosse du Festspielhaus, la mise en scène devait être confiée à Martin Kušej. Après l’abandon de ce dernier en raison de divergences avec Wolfgang Wagner, la production fut commandée à Schlingensief, homme de théâtre, cinéaste et, surtout, infatigable provocateur de la scène allemande. Créé en 2004, le spectacle fut accueilli par une véritable bronca, la presse notant qu’il s’agissait du plus important scandale depuis le fameux Ring de Chéreau/Boulez (1976). L’objectif avoué de notre homme et de son collectif – il est aidé de Daniel Angermayr et de Thomas Goerge – est de faire fi des sources et références chrétiennes de Parsifal pour se concentrer sur les thèmes extra-européens, dont le bouddhisme auquel Wagner s’intéressa. Ainsi Parsifal devient-il une vaste célébration animiste fédératrice, sorte d’acte fondateur de toutes les religions et de chaos initiateur de l’histoire et le l’art.
Les allusions sont infinies et la plupart d’entre elles invisibles à l’œil nu tant le regard est perturbé par un décor envahissant où viennent se greffer des projections vidéo. On reconnaît, non sans peine, un légionnaire romain, Napoléon, Gandhi, un Taliban, un autoportrait de Rembrandt, le Pierrot de Watteau, une boite de soupe Campbell de Warhol, etc. Incontestablement, cette suractivité scénique, qui rompt avec la monotonie et l’ennui du décor unique, fascine, mais elle perturbe la concentration et la perception des idées déployées. Tous les symboles sont réinterprétés et supprimées les références chrétiennes. On peut certainement regretter leur disparition, mais le metteur en scène les remplace par son propre vocabulaire : un lapin en peluche comme image de fécondité, une cérémonie vaudou en guise de cène. Pourtant, à la base, les symboles ne sont-ils pas qu’un avatar de l’imagination et de l’absurdité humaine ?
Ce travail doit être envisagé comme un ensemble, tant chaque aspect pris isolément nuirait à la vision globale. À ce titre on peut noter que la direction d’acteur est inexistante, les chanteurs errant sans but précis sur le plateau tournant qui héberge l’incroyable décor. En matière de performance, il faut saluer l’engagement des artistes qui s’expriment dans les costumes improbables de Tabea Braun : Gurnemanz est vêtu en un homme préhistorique alors que Klingsor figure un primate peinturluré en noir et revêtant un camouflage commando.
Sur le plan musical, rien – hélas ! – d’exceptionnel. Remplaçant Pierre Boulez qui dirige à Aix-en-Provence, le toujours sympathique et avenant Ádám Fischer ne fait guère d’étincelles. Ce solide routier sait tenir l’ouvrage sur la longueur, mais en vain l’on chercherait élan et magie dans cette lecture trop attentive à la barre de mesure.
Côté chant : morne plaine.
Si tous les chanteurs sont de solides professionnels et de bons musiciens, il existe cependant des artistes d’un tout autre calibre. On connaît, depuis le Ring du Châtelet [lire notre chronique des 20 et 25 octobre 2005], le triste état vocal de Jukka Rasilainen ; le timbre est éraillé, la conduite du chant défaillante et l’homme trop souvent obligé de pousser la voix. L’imposant Robert Holl est un Gurnemanz crédible, mais son timbre exagérément caverneux n’aide pas à l’articulation du texte. C’est le manque de charisme et la totale banalité musicale et vocale que l’ont peut reprocher au couple Alfons Ebertz (Parsifal) et Evelyn Herlitzius (Kundry). On en dira autant du Titurel de Jyrki Korhonen. Seul John Wegner tire à peu près son épingle du jeu : le timbre est rocailleux mais assez beau, l’engagement scénique total, même si le chanteur est parfois à la limite du décrochage. Mention très bien pour les filles-fleurs, vêtues et maquillées comme des Africaines pour une fête traditionnelle. Le Chœur du Bayreuther Festspiele est, comme à son habitude, impressionnant de cohésion et de profondeur.
En conclusion, ce spectacle dérangeant mais intriguant fascine autant qu’il irrite. Il faut reconnaître à Schlingensief l’originalité du propos et des idées. Si le metteur en scène acceptait de revoir certains aspects de son travail et d’en limiter références et projections, le résultat gagnerait en lisibilité comme en profondeur.
PJT