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Chroniques
Parsifal | Perceval
Bühnenweihfestspiel de Richard Wagner
L’édition 2013 du Münchner Operfestspiele se termine dans la liesse, après cette représentation infiniment concentrée de Parsifal dont on reprenait une « énième » fois la production de Peter Konwitschny, créée à la Bayerische Staatsoper le 1er juillet 1995, avec quelques remous. Sans trop se soucier d’esthétique, le metteur en scène s’était plutôt préoccupé d’interroger l’œuvre et plus encore son inscription dans le parcours du compositeur : que faire après le Crépuscule des dieux semble bien le moteur d’une réflexion brillante qu’il menait jusqu’à l’éblouissement. « Erlösung dem Erlöser », traduit en toutes les langues, accueille le public par un rideau de papier qui « reçoit » le Vorspiel. Du frêne effondré, d’un monde perdu dont Gurnemanz est plus que jamais le gardien, quand bien même plus personne n’y croirait, la force de l’habitude finira, par-delà l’écroulement du ciel, à rétablir un ordre divin idéalement pur.
Dans la routine rituelle surgit un intrus, tueur de cygne, rappel insolent de la violence extérieure, peut-être d’une violence « vraie » : c’est à lui qu’il sera demandé de magnifier le kantien « du kannst, denn du sollst ! ». Aux emblèmes de fonctionner par double : Kundry, sorte de clown entré en scène sur un cheval de bois qui dévale le tronc effondré, est manifestement de la même famille de sauvages que ce Parsifal à demi-nu, les cuisses recouvertes de peau de mouton et la tête couronnée de feuilles follettes ; le trou sanglant qui tient d’entre-jambes à Klingsor marque de même la blessure (ici clairement vénérienne) d’Amfortas dont il a dérobé la lance (on ne saurait mieux dire…). Enfin, si le Graal se fait Vierge bleue qui envoie deux enfants distribuer le boire et le manger aux chevaliers durant l’Enchantement, encore en est-ce la statuette dérisoire que, dans un grand trouble, le magicien caresse. À l’innocent de laisser parler son bel instinct, garant d’une nouvelle et intouchable morale : la chute du royaume de Klingsor est saisissante ! Alors qu’au dernier acte, « tout est silencieux comme après un bombardement, quand la fumée s’est dissipée et qu’on découvre que la maison n’est plus là » (Ingeborg Bachmann), Parsifal réinvente Dieu : en d’autres termes, Richard Wagner peut mourir serein.
Avec son plateau vocal de grande qualité, la soirée offre plus d’une émotion. À la perfection indiscutable du Chœur maison, répond une armada de Filles-fleurs comme d’une seule voix, mais encore deux Écuyers qu’on a dûment choisis parmi les fins gosiers du Kinderchor – voilà qui change radicalement des écuyers confiés à des dames (de même que tout prend un relief indicible lorsque l’Yniold de Debussy est bel et bien chanté par un garçon, par exemple). Le très incisif Ulrich Reß campe un Troisième Ecuyer lumineux, tandis que le jeune Tareq Nazmi prête au Deuxième Chevalier du Graal un timbre riche, une émission ferme dotée d’une saine clarté. Titurel est plutôt bien servi par Ante Jerkunica, en bonne forme, et Evgueni Nikitin saute à pieds joints dans le texte de Klingsor (non sans le heurter, par moments). Alors qu’il ménage une première intervention gracieusement dolcississimo qui happe merveilleusement l’écoute, Thomas Hampson perd bientôt son Amfortas dans une véhémence révoltée qui abuse du parlando ; entre phrases criées et phrases détimbrées, cette incarnation n’atteint pas ses promesses.
En revanche, on retrouve un Kwangchul Youn souverain en robuste Gurnemanz, tel qu’il y a deux ans lors de la version de concert donnée à Paris [lire notre chronique du 14 avril 2011], et Petra Lang, un peu boudée la semaine dernière en Sieglinde [lire notre chronique du 14 juillet 2013] mais toujours grandiose en Kundry. Conduisant délicatement sa dynamique, elle s’affirme toujours plus expressive et d’une fiabilité des grands soirs. Enfin, en grand habitué du rôle-titre [lire nos chroniques du 4 mars 2008 et du 21juin 2012], Christopher Ventris se révèle plus vaillant que jamais ; vraisemblablement à son apogée, la voix possède aujourd’hui la clarté requise, la précision de l’impact mais encore une plénitude qui peu à peu se déploie sans accuser la moindre fatigue.
Tout a une fin : après sept saisons passées à sa tête, Kent Nagano [lire notre entretien] fait ce soir ses adieux au Bayerisches Staatsorchester (Kirill Petrenko lui succèdera dès la rentrée de septembre). Moins rapide qu’à Paris, son interprétation de Parsifal est recueillie, désertique même, pour le Vorspiel du I, d’une désolation infinie. Aucune pompe ni solennité surfaite ne vient entraver l’intensité d’une lecture en majesté. Chaque pupitre se mobilise formidablement, si bien qu’une sonorité « de miséricorde », pour ainsi dire, ne quittera pas les premiers et troisièmes actes – l’épisode médian est plus resserré, tel que le suggère sa théâtralité propre. De même le III s’ouvre-t-il dans une profondeur prégnante, sorte de danger mélancolique qui se développe dans un souffle extrêmement ample. Le public se lève !
BB