Chroniques

par bruno serrou

Passion
opéra de Pascal Dusapin

Théâtre des Champs-Elysées, Paris
- 6 octobre 2010
© álvaro yañez

Ouverture, ce soir, de la saison d’opéra 2010-2011 du Théâtre des Champs-Elysées et de son nouveau directeur général, Michel Franck, avec la première d'une nouvelle production de Passion de Pascal Dusapin. Créé le 29 juin 2008 dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence, cet ouvrage de quatre-vingt dix minutes en est à sa troisième production en deux ans : une production confiée à la chorégraphe allemande Sasha Waltz et dont le compositeur se dit cette fois satisfait, contrairement à celle d’Aix.

Les deux artistes se connaissent depuis leur rencontre en 2007 autour de Medea d’après Medeamaterial de Heiner Müller. À l’instar de ce dernier ouvrage, Passion est le second opéra dans lequel Dusapin explore l’univers baroque, le compositeur revendiquant sans ambages l’esprit de Monteverdi, plus particulièrement de L’Orfeo, source inépuisable de l’opéra moderne.

« L’alliance du texte et de la musique, qui caractérisait la musique de Monteverdi, affirme Dusapin, me préoccupe aussi, et depuis longtemps. » Ainsi, est-ce le compositeur lui-même qui signe le livret italien, en collaboration avec Rita de Letteris, afin que, dans la musique, « le son et le mot ne puissent être distingués l’un de l’autre ».

Il émane de ce projet une musique intimiste, rehaussée par le travail minutieux de Thierry Coduys qui a conçu un dispositif électroacoustique de capteurs musculaires posés sur la gorge des chanteurs, ce qui permet aux spectateurs d’entendre leur énergie physique comme s’ils étaient en eux, le corps devenant ainsi instrument en soi, tandis que l’effectif orchestral est réduit (flûte, hautbois, cor anglais, clarinette, clarinette basse, basson, cor, trompette, trombone, harpe, clavecin, clavier électronique, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, oud).

Deux personnages, Lei (Elle), Lui, un chœur antique de six membres, les autres, six danseurs et un serpent, invisible. La femme et l’homme sont animés par les transports de la passion qui se recouvrent, s’opposent et se divisent en une multitude de chemins traversée par la peur, la joie, la douleur, le désir, l’amour, la peine, la colère, etc. À l’instar d’Orphée qui délivre Eurydice des Enfers, auxquels son impatience rend finalement l’épouse, Lei et Lui, constate Sasha Waltz, s’affrontent aux abîmes du quotidien, du fait qu’hommes et femmes, même lorsqu’ils s’aiment, ne parviennent pas à se retrouver.

Ce corps à corps appelle indubitablement une chorégraphie et Sasha Waltz en a tiré l’essence. Elle signe un fort beau spectacle, réussissant la gageure de faire danser les chanteurs comme d’authentiques danseurs. La distribution est la même que lors de la création aixoise, avec les remarquables Barbara Hannigan (soprano) et Georg Nigl (baryton) et, dans la fosse, le somptueux Ensemble Modern dirigé avec conviction par Franck Ollu. Si la partie chant reste trop systématiquement dans le recitativo et non pas dans le cantando, pour demeurer dans la référence montéverdienne, la partie instrumentale, charnelle, liquide, claire, est magistrale, à la fois inventive et ancrée dans la tradition, avec clavecin et oud, ainsi qu’électronique live.

BS