Chroniques

par laurent bergnach

Pastorale
opéra de Gérard Pesson

Théâtre du Châtelet, Paris
- 18 juin 2009
Pastorale, opéra de Gérard Pesson
© marie-noëlle robert

Vingt ans après le lancement du projet, faisant suite à sa création au concert à Stuttgart, en mai 2006, Pastorale voit enfin le jour sur scène, sous la direction attentive de Jean-Yves Ossonce à la tête de l’Orchestre symphonique région Centre-Tours. Ainsi qu’il l’avait fait avec nous [lire notre dossier], Gérard Pesson livre quelques éléments à son confrère Gérard Condé sur la genèse d’un ouvrage qui convoque une quarantaine de musiciens et une trentaine de chanteurs (choristes pour moitié), en particulier sur le roman d’Honoré d’Urfé (1607-1627) qui a mobilisé plusieurs librettistes :

« Les toutes premières pages de L’Astrée m’ont surtout intéressé. Il y est dit que cela se passe en Gaule au Ve siècle, en temps de paix, dans le pays du Forez, près de Montbrison qui, soit dit en passant, est la ville natale de Pierre Boulez, le moins pastoral de nos bons auteurs. Les personnages sont de faux bergers ; les jeux de rôles qu’ils s’inventent (ce sont des gens de condition déguisés) nous sont très actuels et permettent de travailler sur l’artifice et le stéréotype, comme j’aime toujours le faire en musique. Il s’agit d’un opéra à numéros (42), conçu comme une revue ; on peut imaginer que des gens de notre temps viennent prendre les costumes ou les attributs de nymphes et de bergers. J’ai donc travaillé pendant dix-huit ans sur ce projet un peu « têtu ». Il est finalement, par-delà les années, bien près de ce que je voulais faire alors ».

Dès les premières minutes, notre société de l’image est mise en scène par Pierrick Sorin : un Celadon paparazzi viole l’intimité d’Astrée tandis que les candidats au jeu de l’amour, tels les participants d’un casting télévisuel, sont relookés en beatniks souhaitant « ne plus toucher au commerce ». Avant de partir à la recherche du héros prisonnier d’une nymphe, ces derniers paradent sous les yeux de Lisandre (animateur taquinant parfois le micro) et du druide Adamas (clone de Gandalf le Blanc sur semelles compensées). Bien occupée par les chanteurs et les danseurs – la chorégraphie de Kamel Ouali, proche de l’acrobatie, est sympathique mais d’un langage sommaire –, la scène l’est aussi par l’équipe de Sorin derrière les caméras. Précédemment, cette production d’images en direct nous avait séduit, car le partage du secret de fabrication sublimait le gag [lire notre chronique du 22 janvier 2007] ; mais ici, quel intérêt de voir un assistant agiter l’eau d’un aquarium pour un simple décor de fond, ou encore ce défilé de moutons sur tige, redondant avec celui des têtes d’ovins en marionnettes à gaine ? Si quelques scènes parviennent à freiner ce tourbillon kitsch (solo de la grotte, le coucher), au final, le spectateur a l’estomac au bord des lèvres.

En définitive, la vraie fantaisie vient du compositeur qui, tout en livrant une musique ciselée où rien n’est superflu ni anecdotique, offre aux percussionnistes serinettes, appeaux, gonfleurs à matelas, boîtes à moutons, langues de belle-mère et gaines électriques accordées puis transformées en rhombes. L’originalité tient aussi à la présence de chanteuses de variété – Hoda Sanz et Raphaëlle Dess – dont la technique vient panacher l’ordinaire lyrique d’une distribution globalement agréable et sonore : Olivier Dumait (Céladon délicat et nuancé sur l’air Je sors des wagons de l’eau), Judith Gauthier (Astrée), Marc Labonette (Adamas bien projeté), Pierre Doyen (Sylvandre plein de santé), Marie-Eve Munger (Florice tendre et expressive), Jean-Gabriel Saint-Martin (aujourd’hui Hylas, mais déjà salué par nous dans le rôle d’Orphée, en 2007), etc.

LB