Chroniques

par bertrand bolognesi

Paul van Nevel
Huelgas chante Richafort

Figures Tragiques / Radio France, Paris
- 27 mai 2005
Requiem de Richafort par Paul van Nevel, à la maison de la radio (Paris)
© dr

Lorsque Paul van Nevel n'est pas au pupitre à diriger de nouvelles raretés, il passe un temps infini à les explorer dans les bibliothèques européennes, approfondissant sans cesse une précieuse connaissance de la science polyphonique du Moyen Âge et de la Renaissance, qu'il transmet aujourd'hui à ses élèves de l'École Sweelinck d'Amsterdam. À la tête de l'Ensemble Huelgas, ancrant sa recherche dans l'étude des tempéraments (Albertus Magnus), le « théâtre de la mémoire » (Giulio Camillo) ou l'approche de l'art oratoire – Artis oratoriae epitome de Jacobus Publicius –, le chef belge, historien de la culture et musicologue (formé à la Schola Cantorum de Bâle) à qui l'on doit quelques éditions de manuscrits anciens (Bärenreiter), fit redécouvrir de grands maîtres franco-flamands, tels Antoine Brumel, Nicolas Gombert, Cyprien de Rore ou Johannes Ciconia.

En ouverture du cycle Figures tragiques proposé par Radio France à la maison ronde, il présente le Requiem de Jean Richafort, précédé d'une alternance de motets et chansons profanes. Si de nombreux musiciens des XVe et XVIe siècles furent oubliés par l'Histoire, on doit au Quart-Livre d'avoir immortalisé Richafort que Rabelais comptait parmi les princes de la musique pour Luther, aux côtés de Josquin Desprez, et que Ronsard admirait comme l'un des premiers polyphonistes de la Renaissance, pour les vingt-six chansons de son Livre de Meslanges. Il nous a légué ses chansons, près de cinquantemotets et quatre messes, une production qui, si concentrée soit-elle, féconda copieusement par ses mélodies la verve des parodiques de la fin du XVIe siècle, tels Morales, Lupus, Gombert et Mouton qui ne négligèrent pas d'y puiser quelque matière.

Nous ne savons que fort peu de la vie du compositeur artésien. Il est généralement admis qu'il est né dans la région de Saint-Omer, et donc de culture francophone et non flamande, vers 1480, sans que l'on sache où il fut formé ni par qui. On trouve sa trace de 1507 à 1509 à la Cathédrale Saint-Rombaut de Malines, où il est magister cantus. Il semble qu'il ait exercé à la cour de Louis XII pour les obsèques duquel il écrivit le motet funèbre Consolator captivorum. Si plusieurs documents attestent d'un passage en Italie de 1513 à 1516 (Rome et Bologne), et bien qu'un texte de l'organiste angevin Jean Daniel le compte peut-être abusivement dans l'assemblée des musiciens de la Chapelle Royale en 1525, on ignore à ce jour ce que fut sa carrière et sa vie entre 1516 et 1531 où on le retrouve à Bruxelles, au service de Marie de Hongrie. Il est encore certain qu'il dirigea la musique de l'Église Saint-Gilles de Bruges jusqu'en 1547, sans que rien ne nous dise ce qu'il devint ensuite. A-t-il changé de poste, entreprit-il un nouveau voyage dont un jour l'on retrouvera l'écho dans une bibliothèque, ou est-il mort (il avait plus de soixante ans, vraisemblablement) ?

Outre une interprétation diablement précise des motets Salve Regina, Laetamini in Domino et Sufficiebat nobis paupertas nostra, une exécution soigneuse et équilibrée des chansons Ne vous chaille mon cœur et Il n'est si doulce vie, les artistes d’Huegas et Paul van Nevel livre un Requiem – on pense que Jean Richafort composa cette messe à six voix en 1521 pour les funérailles de Josquin Desprez – où le sens de chaque phrase fait mouche comme jamais. Plus fervente que recueillie, cette lecture fait dire à ma voisine : « je veux bien mourir tous les jours pour m'entendre chanter ça chez l'bon dieu ! »...

BB