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Chroniques
Peer Gynt d’Edvard Grieg
Didier Sandre prête sa voix à l’Orchestre National d’Ile de France
Beaucoup de jeunes, cet après midi, dans le hall de la Salle Pleyel – une audience à laquelle est habitué l’Orchestre National d’Ile de France, puisque l’une de ses principales activités en région est la sensibilisation de nouveaux publics ; il y est passé maître, déployant dans ce but, depuis sa création en 1974, des trésors d’imagination. Aujourd’hui, toutefois, le programme est singulièrement atypique et ambitieux : Peer Gynt.
Si certains extraits de la musique de scène d’Edvard Grieg sont désormais des tubes, illustrant des films et participant de l’imaginaire collectif, Henrik Ibsen reste quant à lui bien obscur et souvent difficile d’accès. C’est bien le propos de ce concert : replacer la partition dans son contexte dramaturgique. Sans donner l’intégralité de la pièce, excessivement longue, l’Orchestre National d’Ile de France s’adjoint les services du comédien Didier Sandre [photo] pour lire quelques extraits du poème dramatique, choisis parmi les passages les plus aventureux, mais relativement édulcorées, si on les compare à la noirceur et à la crudité du texte original. Le fil de la lecture est l’occasion de réentendre les tubes, certes, mais surtout de découvrir quelques numéros moins connus que les autres, car écartés par le compositeur des deux Suites pour orchestre qu’il en a tirées.
Didier Sandre est un grand habitué de l’exercice. Lorsque de sa voix à la fois forte et souple il interrompt le fameux Matin – énergique, puissant et rapide sous la direction de Yoel Levi –, l’effet produit est impressionnant. Le concept se fait même tout à fait convaincant quand son discours se voit illustré de quelques touches de couleur orchestrale bien définie, d’un solo dansant de premier violon, ou ponctué d’exclamations tour à tour percutantes ou haletantes. L’orchestre est clair et brillant, rutilant et ronronnant – cet Orchestre National d’Ile de France est, on ne sait pourquoi, assez ignoré du grand public, bien moins renommé que d’autres formations parisiennes ; c’est pourtant une belle phalange aux musiciens enthousiastes, motivés, investis et convaincus de leur mission d’interprète, de passeur, et, souvent, de pédagogue – et, suivant les volutes du contrepoint entre le texte et l’orchestre, le récit se déroule dans un premier temps avec un grand naturel. Didier Sandre parle sur la musique, mais sait aussi se retirer et la laisser parler seule s’il le faut.
Malgré toutes ces qualités, et malgré l’intelligence du programme, l’ennui s’installe en cours de route. Est-ce l’éclatement chronologique, le choix parfois discutable des numéros musicaux ? Est-ce l’image incomplète du héros (ou plutôt du anti-héros, dont on voit la lubricité et la mythomanie, mais très peu le reste de la personnalité, notamment les défauts rédhibitoires dont l’affubla Ibsen) que laissent deviner ces bribes de texte ? Ou l’aspect décousu de la narration et ses innombrables ellipses, dans une pièce de théâtre qui, on l’a dit, est difficile d’accès, même dans son intégralité : les personnages nombreux et parfois hautement symboliques, voire allégoriques, la langue riche et épaisse, la dimension fantastique plus ou moins satirique, demanderaient à la fois plus d’éclaircissements et moins d’insistance.
Bref, l’équilibre est, sinon instable, du moins incertain, et l’on en sort un peu sur sa faim. D’un côté, la musique de Grieg est admirablement présentée, de l’autre, on a été frustré de nombreux numéros tout aussi admirables et on n’a pas tout à fait réussi à pénétrer l’univers de cet auteur nordique inclassable.
JS