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Chroniques
Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy
L’extravagance luxueuse de la cour d’Allemonde séduit immédiatement, grâce au décor de Tom Piper qui intègre un style néogothique à une fantaisie Art nouveau. Rampe ouvragée, balcon de conte de fées, arcade médiévale, étang de fausses ruines à la façon baroque et sol de mousse sauvage, le tout bordé d’un vieil or d’antan, permettent ingénieusement de concentrer l’action dans un seul lieu. Le scénographe signe également des costumes de toute beauté.
Dans la nouvelle production de Michael Boyd pour le festival britannique, les échanges humains sont rigoureusement soumis à une hiérarchie sévère dont le vieil Arkel est le gardien. Parce qu’au loin gronde quelque bataille, la guerre amenant toujours la famine, hors de question de sortir des terres de ce royaume étouffant dont les lumières savantes de Malcolm Rippeth soulignent à juste titre la tristesse. Tout cela est bien vu et honore picturalement l’univers de Maeterlinck. Encore faudrait-il l’habiter par une véritable présence au drame, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Avec cet austère hiératisme, paradoxal dans l’écrin poétique, nul passion n’entre en jeu et l’on se demande ce qui anime les couples, Golaud et Mélisande, puis Mélisande et Pelléas. Le résultat est mortellement ennuyeux et ne fait sens qu’à en admirer les photographies.
Il n’échappe pas à Jac van Steen que la musique de Debussy explore en profondeur les mots du dramaturge. À la tête du Philharmonia Orchestra, le chef brabançon dépeint admirablement les passions manquant à la scène, mais au prix d’un déséquilibre effroyable qui écrase complètement les voix. Certes dans la manière du compositeur français l’héritage wagnérien est évident, bien qu’il s’en soit défendu, mais Pelléas et Mélisande n’est pas une symphonie ou un ballet : des parties vocales sont écrites qu’on aimerait entendre.
Comment se faire une idée des aptitudes des artistes lyriques dans de telles conditions ?... La fragilité bien connue des soprani garçons – une tessiture dont une longue tradition chorale fait l’Angleterre spécialiste (le fameux treble) – n’est évidemment pas compatible avec une fosse si lourde ; on ne perçoit pas du tout le pauvre William Davies.
Les adultes s’en sortent forcément mieux, mais ce mieux n’est que relatif. Susan Bickley tente de prêter son mezzo-soprano chaleureux à la bonne Geneviève dont on reçoit quelques phrases joliment menées. J’ai l’impression que Brian Bannatyne-Scott possède le timbre idéal au rôle d’Arkel, mais lui aussi est bouffé par l’orchestre. Celui qu’on entend le mieux est Paul Gay en Golaud, au prix d’une fatigue vocale vite inquiétante, toutefois.
Le couple-titre reste lointain, c’est dommage.
Le cristal délicat d’Andrea Carroll ne peut rivaliser avec le lyrisme grandiloquent de Steen – et on est très heureux qu’elle ne tente pas de relever le défi : elle y laisserait sa voix ! Malgré tout, le jeune baryton Jonathan McGovern s’avère assez brillant. Son Pelléas plutôt cordial passe souvent la rampe mais, quoique respectant bien l’accentuation particulière du récit debussyste, il tripatouille très maladroitement la prosodie française.
La soirée n’a pas été des meilleures, le lecteur l’aura compris.
HK