Chroniques

par emmanuel andrieu

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy

Opéra Comique, Paris
- 22 juin 2010
Pelléas et Mélisande de Debussy par Stéphane Braunschweig à l'Opéra Comique
© elisabeth carecchio

Cent huit ans après sa création in loco, Pelléas et Mélisande revient Salle Favart avec le souci, exprimé par John Eliott Gardiner, de « revenir aux intentions originelles du compositeur ». Le chef anglais, qui déjà dirigeait l'œuvre en 1986 à Lyon (un spectacle qui fit date en son temps), rétablit les coupures auxquelles Debussy dut se résoudre peu avant la première d’avril 1902. Ainsi fait-il entendre les nombreux interludes musicaux écrits pour les changements de tableaux et une scène plus étoffée à la fin du troisième acte, où Golaud brutalise son enfant Yniold. L'Orchestre révolutionnaire et romantique qui, de prime abord, paraît plutôt rêche, avec des résonnances sèches à l'Acte I, se montre ensuite tout à fait admirable. Jouée sur instruments anciens, la partition libère des sonorités nouvelles. Le dramatisme qu'insuffle par ailleurs Gardiner au IV laisse pantois, même s'il met à rude épreuve les voix qu'il a tendance à couvrir.

C'est d'autant plus fâcheux que le plateau vocal réunit ce soir est proche de l'idéal. À commencer par le Canadien Philipp Addis – une révélation ! Un physique adolescent, un charme immédiat, une diction irréprochable, un vrai baryton martin, caméléon, sachant avec aisance alterner entre le sombre et le solaire, font de ce chanteur un grand Pelléas. En Mélisande, Karen Vourc'h est tout aussi extraordinaire. Le timbre est d'une pureté et d'une clarté absolument magnifiques. L'artiste possède une rare intelligence musicale. Il faut la voir investir le personnage, successivement oiseau fragile, femme prostrée, amante passionnée ou, à l'inverse, mutine voire manipulatrice ! Indéniablement trop négligé par les scènes parisiennes,Marc Barrard incarne un Golaud d'exception, tour à tour pathétique, infâme ou désespéré. La scène du IV où il oscille entre rage et abattement est ici souverainement rendue. La voix est puissante, ce que n'entrave pas un chant toujours nuancé. Un petit reproche néanmoins : sa préoccupation des départs l'oblige à regarder constamment le chef, ce qui nuit à l'intensité du jeu.

C'est une Geneviève de luxe que s'offre la production, en la présence de Nathalie Stutzmann : graves abyssaux, expression souveraine, humanité à fleur de peau et diction exemplaire. La scène de la lettre restera un des temps forts de la soirée. L'Arkel de Markus Hollop est la seule fausse note de cette distribution. La voix de la basse allemande s’avère nasale dans les aigus, avec une projection limitée ; enfin justesse et ligne de chant sont souvent mises à mal. Yniold, comme c'est malheureusement souvent le cas, n'est pas ici confié à un enfant mais à une jeune chanteuse qui trouve dans le soprano jordanien Dima Bawab une interprète crédible tant vocalement que scéniquement. Enfin la basse Luc Bertin-Hugault prête au docteur sa couleur profonde.

La mise en scène de Stéphane Braunschweig s’affirme scrupuleuse avec le texte que Debussy lui même tira de la pièce éponyme de Maeterlinck, évitant toute transposition malvenues. Fidèle à son univers sobre et épuré, le jeune directeur de La Colline a conçu un dispositif scénique, remarquablement éclairé par Marion Hewlett, qui propose deux déclinaisons : une pièce entièrement close et comme emmurée de persiennes montant jusqu'aux cintres, un plateau circulaire incliné et strié d'où émerge un phare ou une grotte béante. Ainsi évoque-t-il le tourbillon claustrophobe des passions humaines. Mais sa griffe se retrouve surtout dans la fine direction d'acteurs, avec de nombreuses scènes fortes, telle celle dite « de la Tour », d'un érotisme fou, où Pelléas s'enivre des cheveux de Mélisande, cette autre où le baiser des deux amants est provoqué par Golaud lui-même, comme pour mieux précipiter l'implacabilité des événements à venir ; cette autre, encore, où Golaud, après avoir commis l'irréparable en tuant son propre frère, n'a de cesse de se frotter les mains sur un pantalon en lin d'un blanc immaculé.

Enfin cette scène ultime, tandis que s'achèvent les derniers accords de musique, qui voit lentement tomber le rideau et isoler Arkel vers nous, le bébé de Mélisande dans les bras. Cette image, toute bouleversante simplicité, restera pour longtemps gravée dans les mémoires.

EA