Chroniques

par bertrand bolognesi

perspectives Pierre Boulez
Domaines, Le marteau sans maître, Anthèmes 2, Répons

Cité de la musique, Paris
- 11, 15 et 16 mars 2003
le compositeur et chef d'orchestre français Pierre Boulez
© dr

L'Ensemble Intercontemporain présente un cycle autour de l'œuvre multi-facettes de Pierre Boulez. Ces Perspectives s'ouvrent avec Domaines, une pièce de la fin des années soixante, composée d'abord pour clarinette seule, puis pour clarinette et ensemble. Notons que Boulez ne l'a pas dirigée depuis longtemps, de sorte qu’on en redécouvre ici d’autant plus la riche facture. Elle connaît, ce mardi 11 mars, un franc succès, le public suivant volontiers le soliste dans ses dialogues avec chaque groupe instrumental. C'est d'abord le clarinettiste qui, en se plaçant face à un groupe, détermine la succession de chaque partie dans l'exécution. Puis, lorsqu’il est arrivé au centre, c'est le chef qui décide. Faut-il parler de tentative assez précautionneuse d'œuvre ouverte ? L’on sait, cependant, que le maître, s'il s'y essaya, n'en fut pas un adepte convaincu et continua de croire que laisser le choix à l’interprète se réduit le plus souvent à l’inciter à suivre le chemin le plus attendu, le plus routinier, sans invention ni fantaisie. Aussi dira-t-on de Domaines qu'il est plutôt un jeu de spatialisation plus ou moins aléatoire. En grand virtuose, Alain Damiens en livre avec lucidité une interprétation en générale aérée et d'une gracieuse clarté d'articulation.

Depuis quand avions-nous entendu Le marteau sans maître à Paris dirigé par son auteur?... Nous retrouvons ce soir une partition mythique qui en leur temps put paraître à certains commentateurs une sorte de renaissance du compositeur – peut-être, si le Marteau entraîne les Improvisations qui font naître Pli... On se souvient de Madame Irma, la tenancière du Balcon de Péter Eötvös au festival d'Aix-en-Provence, l'été dernier : Hilary Summers qui chante cette fois René Char. Faut-il comprendre ce qui est chanté ? Vaste sujet. Dans la mesure où Boulez jamais ne chercha à s'inspirer de la respiration parlée d'un poème et prit plutôt appui sur ce qu'il évoque, cela se discute. Personnellement, j'avoue que la diction plus qu'incertaine du contralto me gêne. Vocalement, c'est large, séducteur, attachant, mais encore manque-t-il les mots.

Le concert de mercredi propose des œuvres solistes, comme la Sonate n°1, les Structures ou la Sonatine, préparant l'assistance à la grand'messe de la fin de semaine. Car les programmes des 15 et 16 mars réservent des moments exceptionnels.

Tout d'abord, l'inégalable Hae-Sun Kang joue le redoutable Anthèmes 2. À partir d'un fragment d'une version intermédiaire de la future ...explosante-fixe..., Pierre Boulez a composé en 1991 un Anthème pour violon seul. Quelques années plus tard, comme à son habitude, il se penche sur la pièce et décide de la développer en l'associant à une partie électronique que réalisera Andrew Gerzso. Créée à Donaueschingen en 1997, on put la découvrir à Paris, dans cette même salle, à l'automne 1998, et tenter de la mieux comprendre en juin 1999 lors d'un atelier que présentait le compositeur dans le cadre des journées portes ouvertes de l'Ircam. Ces diverses occasions révélaient la surprenante maîtrise avec laquelle la violoniste se joue des multiples embûches de cette page. Rappelons qu'elle la joue systématiquement par cœur.

Anthèmes 2 est une excellente introduction au feu d'artifice final, Répons, plus entendu depuis huit ans. On ne prétendra pas présenter ici une œuvre phare des vingt dernières années, qui ouvrit une voie à beaucoup – et à Boulez lui-même, puisqu'on en retrouvera sous d'autres applications certains principes dans Sur Incises en 1998. Nous nous contenterons d'avouer que Répons exerce sur nous la même fascination qu'il y a vingt ans, qu'on se laisse terriblement hypnotiser par ses proliférations rythmiques et son envahissant enveloppement sonore. L'interprétation de l'EIC demeure exemplaire.

BB